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92 LES CHASSEURS D’ABEILLES

Les trois cavaliers quittèrent alors la route frayée, et, faisant un crochet sur la droite, ils se dirigèrent vers un petit bois de platanes et de mezquites peu éloigné.

Celui qui les eût vus marcher ainsi côte à côte, causant et souriant entre eux, les eût pris incontestablement pour des amis intimes charmés de se rencontrer ; cependant il n’en était rien, ainsi que le lecteur le verra bientôt.

Ainsi que l’avait annoncé don Fernando, après quelques minutes de marche ils atteignirent le bois et aperçurent la grotte naturelle dont il leur avait parlé.

Cette grotte s’ouvrait sur le penchant d’une colline peu élevée, ses proportions étaient assez étroites ; tapissée de verdure à l’extérieur ainsi qu’à l’intérieur, c’était un délicieux lieu de repos pour laisser passer la chaleur étouffante du milieu du jour.

Les cavaliers mirent pied à terre, ôtèrent la bride de leurs chevaux afin de les laisser paître en liberté, puis ils entrèrent dans la grotte et respirèrent avec un sentiment de bien-être indicible la fraîcheur qu’y entretenait un mince filet d’eau qui suintait entre ses parois avec un mélancolique murmure, fraîcheur qui contrastait avec l’atmosphère ardente à laquelle ils étaient précédemment exposés.

Ils jetèrent leurs zarapés sur le sol, s’étendirent confortablement et allumèrent leurs pajillos de maïs.

— Ah ! fit don Torribio, je vous suis réellement reconnaissant, don Fernando, d’avoir pensé à cette délicieuse retraite ; maintenant, s’il vous plaît de vous expliquer, je vous écouterai avec le plus grand plaisir.

— Señor don Torribio Quiroga, répondit don Fernando, je suis réellement confus de tant de courtoisie, et, si je n’étais pas votre ennemi le plus implacable, le ciel m’est témoin que je serais votre ami le plus cher.

— Hélas ! le ciel en a disposé autrement ! soupira don Torribio.

— Je le sais, cher seigneur, et je le regrette de toute mon âme.

— Pas plus que moi, je vous jure !

— Enfin, puisqu’il en est ainsi, il nous faut tous deux en prendre notre parti.

— Hélas ! c’est ce que je tâche de faire, cher seigneur.

— Je le sais ; aussi, da’ns votre intérêt comme dans le mien, ai-je résolu d’en finir.

— Je ne vois pas trop comment nous atteindrons ce résultat, à moins que l’un de nous ne consente à mourir.

— Cette haine a dû vous coûter assez d’argent déjà.

— Quatre cents piastres, que les coquins m’ont volées, puisque vous vivez encore, sans compter deux cents autres que je me propose d’offrir ce soir à un picaro qui m’a juré qu’il vous tuerait.

— C’est vraiment désolant : si cela continue ainsi, vous finirez par vous ruiner.

Don Torribio soupira sans répondre.

Don Fernando continua, en jetant sa cigarette consumée et se préparant à en tordre une autre :