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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Señor don Estevan, je suis heureux de vous connaître ; avez-vous dix minutes à perdre dans ma compagnie ?

— Señor don Fernando, quelque pressé que je fusse, je m’arrêterais afin de jouir de votre charmante société.

— Vous êtes mille fois bon, caballero, et je vous en remercie, voici en deux mots ce dont il s’agit : le caballero qui vient là-bas est le señor…

— Don Torribio Quiroga, je le connais, interrompit don Estevan.

— Tant mieux alors, cela ira tout seul. Donc cette personne, fort honorable, du reste, se trouve par une étrange fatalité être mon ennemi intime.

— Voilà qui est fâcheux.

— N’est-ce pas ? Enfin, que voulez-vous ? c’est ainsi : tellement mon ennemi intime, que quatre fois il a déjà cherché à me faire assassiner, et m’a contraint de servir à mon insu de cible à des bandits.

— C’est fâcheux, il joue de malheur avec vous, señor don Fernando.

— C’est la réflexion que j’ai faite, et, comme je désire en finir avec lui, j’ai pris la résolution de lui offrir un moyen de sortir d’embarras.

— Ceci est véritablement l’acte d’un caballero.

— Dame ! je comprends combien il doit être furieux. Je serai charmé que vous consentiez à être témoin de la transaction que je suis résolu à lui proposer.

— Avec bonheur, caballero.

— Mille grâces, à charge de revanche. Mais voici notre homme.

En effet, pendant ce court entretien, don Torribio Quiroga avait continué à s’avancer, et il ne se trouvait plus qu’à une courte distance des deux interlocuteurs.

— Valga me Dios ! s’écria-t-il de l’air le plus joyeux, je ne me trompe pas, c’est bien mon cher ami don Fernando Carril que j’ai la bonne fortune de rencontrer.

— Moi-même, cher ami, aussi heureux de ce hasard que vous-même pouvez l’être, répondit en s’inclinant don Fernando.

— Vive Dios ! puisque je vous tiens, je ne vous lâche plus ; nous allons marcher jusqu’au pueblo.

— Je le désirerais, don Torribio, mais, avant tout, j’ai, si vous me le permettez, quelques mots à vous dire qui, peut-être, s’opposeront à ce qu’il en soit ainsi.

— Parlez, parlez, cher seigneur ; vous ne pouvez me dire que des choses agréables que je serai heureux d’entendre devant mon ami Estevan.

— Don Fernando m’a en effet prié de demeurer auprès de lui afin d’assister à votre conversation, répondit le jeune homme.

— Voilà qui est on ne peut mieux ; parlez donc, cher seigneur.

— Si nous mettions pied à terre, señores ? observa don Estevan, la conversation risque de se prolonger.

— Parfaitement raisonné, caballero, répondit don Fernando. Je connais ici près une grotte où nous serons on ne saurait plus à notre aise pour causer ; ce n’est qu’à deux pas.

— Rendons-nous-y le plus tôt possible, dit en souriant don Torribio.