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LES CHASSEURS D’ABEILLES


X

EL AS DE COPAS


Don Fernando serra la bride, et pendant quelques minutes il demeura immobile comme une statue équestre sur son socle de marbre.

— Il ne viendra pas, murmura-t-il au bout d’un instant. M’aurait-on trompé ? oh ! non, c’est impossible.

Jetant alors comme par acquit de conscience un dernier regard autour de lui, il lâcha la bride à son cheval, mais aussitôt, par un mouvement brusque, il le retint et lui fit exécuter une courbette et se cabrer de douleur : don Fernando venait d’apercevoir deux cavaliers qui se dirigeaient vers lui : l’un venait du pueblo, l’autre suivait la route que quelques instants auparavant lui-même avait parcourue.

--Allons, allons, tout va bien, murmura-t-il, voici don Torribio Quiroga ; mais quel est cet autre cavalier ? ajouta-t-il en se tournant vers l’homme qui sortait du pueblo.

Ses sourcils se froncèrent, il sembla hésiter un instant, mais bientôt il se redressa, sourit : avec ironie et, tout en disant à demi-voix : « Il vaut mieux qu’il en soit ainsi », il fit exécuter une demi-conversion à son cheval, et se plaça en travers juste au milieu de la route, de façon à barrer complètement le passage.

Les deux arrivants, qui suivaient avidement chacun de ses gestes, remarquèrent fort bien l’apparence hostile de la position prise par don Fernando, mais aucun d’eux ne sembla s’en inquiéter, et ils continuèrent à s’avancer du même pas qu’auparavant.

Le cavalier sortant du pueblo était beaucoup moins éloigné que don Torribio de don Fernando : aussi bientôt se trouva-t-il tout auprès de lui.

Les Mexicains, quel que soit le rang qu’ils occupent dans la société et l’éducation qu’ils aient reçue, possèdent tous un instinctif sentiment des convenances qui ne les trompe jamais et une politesse raffinée qui ferait envie à bien des habitants du vieux monde.

Aussitôt que don Fernando vit l’étranger à portée de voix, il dérangea légèrement la position de son cheval, mit le chapeau à la main, et s’inclinant profondément :

— Señor caballero, dit-il, daignez me permettre de vous adresser une question.

— Caballero, répondit l’étranger avec non moins de politesse, c’est trop d’honneur que vous me faites.

— Je me nomme don Fernando Carril.

— Et moi don Estevan Diaz.

La présentation était faite, les deux cavaliers se saluèrent de nouveau et remirent leurs chapeaux.