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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Ooah ! fit le sachem, mon frère parle bien haut. J’ai entendu le milan narguer l’aigle, mais du bout de son aile l’oiseau tout-puissant l’a pulvérisé.

— Trêve de railleries, chef ; vous êtes un des guerriers les plus renommés de votre tribu, vous ne consentirez pas à vous faire l’agent d’une infâme trahison. Le Chat-Tigre a reçu ces voyageurs sous son calli, il leur a donné l’hospitalité ; vous le savez, l’hospitalité est sacrée dans la prairie.

L’Apache se mit à rire avec mépris.

— Le Chat-Tigre est un grand chef, il n’a voulu ni boire ni manger avec les faces pâles.

— Ceci est une fourberie indigne.

— Les faces pâles sont des chiens voleurs, les Apaches prendront leurs chevelures.

— Misérable ! s’écria le chasseur avec colère, moi aussi je suis une face pâle : prends-moi donc ma chevelure !

Et d’un mouvement rapide comme la pensée, en même temps qu’il jetait à terre le bonnet de fourrure qui lui couvrait la tête, il se précipita sur le chef indien et lui plongea son couteau dans le cœur.

Soudain cinq coups feu éclatèrent, et les autres chefs réunis autour du feu roulèrent agonisants sur la terre.

Ces chefs étaient les seuls qui eussent des armes à feu.

— En avant ! en avant ! cria le chasseur en saisissant son rifle par le canon et se ruant au milieu des Apaches effarés.

Les Mexicains, aussitôt après leur premier feu, s’étaient élancés dans le camp au secours du guide.

Alors commença une mêlée terrible de six hommes contre une quinzaine, mêlée d’autant plus horrible et d’autant plus acharnée que chacun d’eux savait qu’il n’avait pas de merci à attendre.

Heureusement pour eux, les Blancs avaient des pistolets ; ils les déchargèrent à bout portant dans la poitrine de leurs ennemis, puis les attaquèrent à coups de sabre.

Les Indiens avaient été si complètement surpris, ils étaient si loin de s’attendre à être si vigoureusement pressés par des hommes qui semblaient sortir de dessous terre et dont ils étaient loin de soupçonner le nombre, que la moitié d’entre eux étaient morts avant que les autres eussent entièrement repris leur sang-froid et songé sérieusement à se défendre. Lorsqu’ils voulurent essayer une résistance sérieuse, il était trop tard, les Mexicains les serraient de si près qu’une plus longue lutte devenait impossible.

— Arrêtez ! cria le chasseur.

Blancs et Peaux-Rouges baissèrent leurs armes comme d’un commun accord.

Le chasseur reprit :

— Guerriers apaches, jetez vos armes !

Ils obéirent.

Sur un signe du guide, les Mexicains les garrottèrent sans qu’ils opposassent la moindre résistance.

Les Peaux-Rouges, lorsqu’ils reconnaissent qu’ils sont vaincus, se courbent