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LES CHASSEURS D’ABEILLES

sommes toutes, mais je pense vous avoir prouvé, depuis les quelques heures que nous voyageons de compagnie, que mon cœur est au-dessus d’une crainte vulgaire et que, si chez moi la force physique ne répond pas à l’énergie morale, ma volonté triomphe de cette débilité, qui malheureusement appartient à mon sexe, et me place toujours à la hauteur des événements, quels qu’ils soient.

Le Cœur-de-Pierre avait attentivement écouté la jeune fille ; le masque d’impassibilité qui couvrait ses traits s’était fondu au son de cette voix mélodieuse, et une ardente rougeur avait envahi son visage.

— Pardonnez-moi, señorita, répondit-il d’une voix que l’émotion intérieure qui l’agitait faisait tremblante, j’ai eu tort, je vais parler.

— Bien ! fit-elle avec un doux sourire ; je savais bien que vous me répondriez.

— Les Apaches, ainsi que je vous l’ai dit, sont campés à peu de distance sur le bord de la rivière ; certains de ne pas être inquiétés, ils ne se gardent pas, ils dorment, boivent de l’eau de feu ou fument en attendant l’heure de vous attaquer. Nous sommes six hommes bien armés et déterminés, car nous savons que notre salut dépend de la réussite de notre expédition : débarquons sur l’île, surprenons les Peaux-Rouges, attaquons-les vigoureusement, peut-être réussirons-nous à nous ouvrir un passage, et alors nous serons sauvés, car, après leur défaite, ils n’oseront pas se mettre à notre poursuite. Voilà ce que je voulais vous proposer.

Il y eut un assez long silence ; ce fut doña Hermosa qui le rompit.

— Vous aviez tort d’hésiter à nous faire part de ce projet, dit-elle vivement, c’est en effet le seul praticable ; mieux vaut marcher bravement au-devant du danger que de trembler lâchement en l’attendant ; partons, partons, nous n’avons pas une seconde à perdre.

— Ma fille, s’écria don Pedro, vous êtes folle, songez que nous nous exposons à une mort presque certaine.

— Soit ! mon père, répondit-elle avec une énergie fébrile, notre sort est entre les mains de Dieu, sa protection a été trop évidente jusqu’à ce moment pour qu’il nous abandonne.

— La señorita a raison, s’écria le capataz, allons enfumer ces démons dans leur repaire ; d’ailleurs, ce chasseur, auquel je fais mes très humbles excuses d’avoir un instant soupçonné sa loyauté, nous fournira, j’en suis persuadé, les moyens d’arriver sans être découverts jusqu’au camp des Apaches.

— Du moins j’y emploierai tous mes efforts, répondit simplement le chasseur.

— Allons donc, puisque vous le voulez, dit en soupirant l’haciendero.

Les peones, bien qu’ils ne se fussent pas mêlés à la conversation, saisirent leurs rifles d’un air déterminé qui montra qu’ils étaient résolus à faire leur devoir.

— Suivez-moi, dit le chasseur en allumant une torche de bois d’ocote, afin d’éclairer la route.

Sans plus de discussion, les Mexicains s’enfoncèrent dans le souterrain.