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LES CHASSEURS D’ABEILLES

hommes qu’ils supposaient surprendre sans défense, perdront peut-être courage et se retireront.

Doña Hermosa, éveillée par le bruit des voix, s’était rapprochée et écoutait avec anxiété.

L’haciendero secoua la tête.

— Ce moyen me semble hasardeux, dit-il, car, si nos ennemis parviennent à prendre pied sur le rocher, ils finiront par nous accabler par le nombre et s’emparer de nous.

— C’est ce qui arrivera probablement, dit froidement le chasseur.

— Voyons le second moyen ; ce que vous m’avez proposé me semble impraticable.

— Ce rocher communique, par un souterrain sous le lit de la rivière, à un rocher assez éloigné de l’endroit où nous sommes. Je vous conduirai à ce rocher ; arrivés là nous monterons dans la pirogue : une fois débarqués sur l’autre rive, nous prendrons nos chevaux et nous confierons notre salut à la rapidité de leur course.

— Je préférerais ce moyen, si nos chevaux n’étaient pas aussi fatigués et si une fuite de nuit à travers le désert n’était pas une chose à peu près impossible.

— Les Peaux-Rouges connaissent aussi bien que moi le rocher sur lequel nous sommes réfugiés ; peut-être ont-il gardé déjà l’issue par laquelle nous espérons fuir.

— Oh ! oh ! fit tristement l’haciendero ; malgré toute votre bonne volonté pour nous servir, les moyens que vous me proposez ne sont pas heureux.

— Je le sais ; malheureusement il ne dépend pas de moi qu’il en soit autrement.

— Enfin, murmura don Pedro avec résignation, voyons le dernier.

— Le dernier, vous le trouverez, j’en ai bien peur, plus impraticable encore que les deux autres. C’est une tentative folle et désespérée qui offrirait peut-être des chances de succès, si nous n’avions pas avec nous une femme qu’il ne nous est pas permis d’exposer à un péril pour la faire échapper à un autre.

— Alors il est inutile d’en parler, fit l’haciendero en jetant un regard douloureux sur sa fille.

— Pardonnez-moi, mon père, s’écria vivement doña Hermosa ; voyons ce moyen, au contraire, peut-être est-ce le seul qui soit réellement bon. Expliquez-vous, señor, continua-t-elle en s’adressant au chasseur. Après ce que vous avez fait pour nous, nous serions ingrats de ne pas suivre vos conseils. Ce que vous hésitez à nous dire par égard pour moi est, j’en suis convaincue, la seule voie de salut qui nous soit ouverte.

— Peut-être, répondit le chasseur ; mais, je vous le répète, señorita, ce moyen est impraticable avec vous.

La jeune fille se redressa, un sourire railleur plissa ses lèvres roses, et, reprenant la parole d’une voix légèrement ironique :

— Vous me croyez donc bien faible et bien pusillanime, señor, que vous n’osez parler ? Je ne suis qu’une femme, il est vrai, débile comme nous le