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LES CHASSEURS D’ABEILLES

voir vous éloigner, il est de mon devoir de vous avertir que, si rien ne vous retient plus ici, vous ferez bien de vous mettre en route.

Don Pedro et ses compagnons se levèrent, et, accompagnés des deux chasseurs, ils descendirent dans la plaine.

Pendant les quelques mots qui avaient été échangés sur le teocali, les cavaliers indiens s’étaient éloignés en abandonnant les mules des Mexicains à l’endroit où ils s’étaient primitivement arrêtés.

L’haciendero, avant de se mettre en selle, tourna à plusieurs reprises la tête vers l’endroit où les Indiens avaient disparu.

— Que cherchez-vous, señior ? lui demanda le vieillard, inquiet de la répétition de ce mouvement.

— Vous m’excuserez, répondit don Pedro, mais je crains de m’engager sans guide dans cette forêt inextricable, et je ne vois pas celui que vous aviez bien voulu me promettre.

— Il est devant vous cependant, señor, fit le Chat-Tigre en désignant le chasseur.

— Oui, dit alors celui-ci en jetant un regard de défi au vieillard, c’est moi qui vous guiderai, et je vous promets que, quelque obstacle qui se présente devant vous, qu’il vienne des hommes ou des bêtes fauves, vous arriverez sain et sauf à votre hacienda.

Le Chat-Tigre ne répondit pas à ces paroles évidemment prononcées pour lui ; il se contenta de hausser les épaules, tandis qu’un sourire d’une expression indéfinissable glissa sur ses lèvres serrées.

— Oh ! fit l’haciendero, si c’est vous qui nous devez conduire, señor, nous n’avons en effet rien à redouter, votre généreuse conduite passée est pour moi une sûre garantie pour l’avenir.

— Partons ! dit-il d’une voix brève, nous n’avons perdu que trop de temps.

Les voyageurs se mirent en selle sans répliquer.

— Adieu ! et bonne chance ! leur dit le Chat-Tigre en les voyant sur le point de s’éloigner.

— Un mot, s’il vous plaît, caballero, répondit l’haciendero en se penchant légèrement vers son hôte.

Celui-ci s’approcha en s’inclinant poliment.

— Parlez, señor, dit-il, est-ce un nouveau service que je puisse vous vendre ?

— Non, répliqua le Mexicain, je ne vous ai déjà que trop d’obligations ; seulement, avant de me séparer de vous, peut-être pour toujours, je désirerais vous dire que sans vouloir chercher les motifs qui vous ont poussé à agir envers moi ainsi que vous l’avez fait, votre conduite a été en apparence trop cordiale et trop noble pour que je ne vous exprime pas toute ma reconnaissance ; quoi qu’il arrive, señor, et jusqu’à preuve évidente du contraire, je me considère comme votre obligé, et, si l’occasion s’en présente, je saurai acquitter la dette que j’ai contractée envers vous.

Et avant que le Chat-Tigre, stupéfait de cet adieu qui lui prouvait que l’haciendero n’était pas complètement sa dupe, eût reprit son sang-froid, le