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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Alors… répéta le vieillard avec ironie.

— Je veux que le démon ait mon âme si je ne vous plante pas mon bowie knife entre les deux épaules.

— Tu oublies que nous serons à deux de jeu.

— Tant mieux ! alors il y aura bataille : je préfère cela.

— Tu n’es pas dégoûté. Mais voyons ! parle, ou que la peste t’étouffe ! je t’écoute ; pas plus que toi je n’ai de temps à perdre.

Le Cœur-de-Pierre, qui, jusqu’à ce moment, était demeuré debout au milieu de la cellule, s’assit sur un crâne de bison et appuya son rifle sur ses genoux.

— N’est-ce pas le Zopilote que vous attendiez, dit-il, lorsque je suis venu vous troubler d’une manière si intempestive ?

— C’est en effet le Zopilote ; tu as deviné, garçon !

— Maintenant que vous avez terminé avec lui vos brigandages d’hier et d’aujourd’hui, vous vouliez, sans doute, préparer à vous deux les trahisons que vous projetez pour demain ?

— Sur mon âme ! garçon, je ne comprends pas.

— Diable ! vous avez donc maintenant l’intelligence bien rebelle !

— C’est possible, mais je te serais obligé de t’expliquer plus clairement.

— Soit ! du reste, ne cherchez pas à nier, j’ai été mis, il a quelques instants à peine, au courant de tout par les bavardages mêmes de ceux qui vous ont accompagné.

— Puisque tu sais tout, que me viens-tu demander ?

— Si cela est vrai, d’abord.

— On ne peut plus vrai, tu vois que je suis franc.

— Ainsi, vous avez réellement surpris ces voyageurs pendant leur sommeil ?

— Oui, muchacho, comme une couvée de chiens des prairies dans leur terrier.

— Vous avez volé leurs chevaux et leurs bagages ?

— J’ai effectivement fait tout cela.

— Puis vous les avez transportés dans l’intérieur de la forêt pour les condamner à une mort affreuse ?

— Je les ai fait transporter dans la forêt, oui, mais non pas, ainsi que tu affectes de le croire, dans le but de les faire mourir de faim.

— Dans quel but avez-vous agi ainsi, alors ? Je ne puis supposer que ce soit dans celui d’effacer les traces du vol. Vous vous souciez fort peu d’employer ces précautions, et une navajada ne vous coûte guère.

— Parfaitement raisonné, garçon. Je n’ai jamais eu l’intention de faire le moindre mal à ces voyageurs.

— Alors, que prétendiez-vous obtenir d’eux ? Votre conduite, que je ne comprends pas, m’étonne au dernier point.

— Elle t’intrigue bien, avoue-le, garçon ?

— C’est vrai, mais vous allez me l’expliquer, n’est-ce pas ?

— C’est selon, garçon, c’est selon. Promets-moi d’abord, à ton tour, de répondre à une seule question.