Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Eh ! dit-il au Zapote qu’il rencontra sur sa route, justement je vous cherchais, mon brave.

— Moi ! capataz ? Eh bien, cela se trouve bien, alors. De quoi s’agit-il donc ? répondit joyeusement le lepero.

— Venez un peu par ici, compagnon, répondit don Luciano en l’emmenant à l’écart, afin que je vous conte l’affaire sans craindre les oreilles inutiles.

Une heure plus tard, c’est-à-dire vers onze heures du matin, le Chat-Tigre arriva au camp ainsi que le Zopilote l’avait annoncé.

Le chef portait le costume des gambucinos, il n’avait pas d’armes ou du moins il n’en laissait voir aucune.

Dès qu’il se fut fait reconnaître par les sentinelles, elles lui livrèrent passage et l’amenèrent au capataz, qui se promenait de long en large à quelques pas.

Le Chat-Tigre jeta un regard investigateur autour de lui en entrant dans le camp ; tout y semblait dans son état normal, le chef ne vit rien de suspect ; suivant l’indication qui lui avait été donnée, il s’approcha du capataz.

— Que demandez-vous ici ? lui dit rudement don Luciano.

— Je désire parler à don Pedro de Luna, répondit simplement le Chat-Tigre.

— C’est bon. Suivez-moi ; il vous attend.

Et, sans plus de cérémonie, le capataz le conduisit à l’entrée du jacal.

— Entrez, lui dit-il, c’est là que vous trouverez don Pedro.

— Qui est là ? demanda une voix de l’intérieur.

— Seigneurie, répondit le capataz, c’est l’Indien qui a demandé la faveur d’un entretien avec vous. Allons, venez, ajouta-t-il en s’adressant au chef.

Celui-ci le suivit sans observation et entra avec lui dans le jacal.

— Vous avez demandé à m’entretenir, dit don Pedro.

— Oui, répondit le chef d’une voix sombre, mais vous seul.

— Cet homme est un de mes anciens serviteurs, il a toute ma confiance.

— Ce que j’ai à vous dire ne doit pas entrer dans une autre oreille que la vôtre.

— Retirez-vous, Luciano, dit don Pedro, mais ne vous éloignez pas, mon ami.

Le capataz lança un regard furieux au Chat-Tigre et sortit en grommelant.

— Maintenant, nous sommes seuls, reprit don Pedro, vous pouvez vous expliquer franchement avec moi.

— Je suis dans cette intention, répondit sourdement le chef.

— Est-ce de ma fille que vous me voulez parler ?

— D’elle et d’autres encore, reprit le Chat-Tigre du même ton.

— Je ne vous comprends pas, chef, je vous serais obligé de vous expliquer plus clairement.

— C’est ce que je vais faire sans tarder davantage, car il y a bien longtemps que j’ai le désir de me trouver face à face avec vous : regardez-moi, don Pedro, est-ce que vous ne me reconnaissez pas ?

— Je crois ne vous avoir jamais vu avant le jour où vous m’avez donné l’hospitalité dans votre teocalli.