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LES CHASSEURS D’ABEILLES

montagne, et dont deux corridors débouchent, comme deux fenêtres géantes, juste au-dessous du Voladero, à une hauteur de plus de mille pieds de la plaine sur laquelle elles planent sans que, vu la conformation singulière de la montagne, il soit possible d’apercevoir au-dessous de soi autre chose que la cime des arbres.

Le chasseur était entré dans la grotte qui, autre particularité remarquable, reçoit dans toute son étendue le jour par un nombre infini de fissures qui permettent de distinguer facilement les objets à une distance de vingt et vingt-cinq pas.

Le jeune homme était inquiet, la condition que lui imposait le Chat-Tigre le tourmentait malgré lui.

Il se demandait pour quelle raison le vieux chef avait exigé qu’il demeurât deux jours seul avec la jeune fille dans la montagne avant de regagner le campement.

Il soupçonnait que cette condition qui lui était imposée cachait un piège, mais quel était ce piège ? voilà ce que don Fernando cherchait vainement à comprendre.

Il s’avançait lentement dans la grotte, regardant à droite et à gauche pour tâcher d’apercevoir celle qu’il cherchait, sans que depuis près d’une demi-heure qu’il était entré aucun indice lui eût révélé la présence de la jeune fille.

Lorsqu’il avait atteint la limite du couvert de la forêt, le soleil sur son déclin était sur le point de disparaître à l’horizon ; la grotte, déjà passablement sombre pendant le jour, était maintenant plongée dans une obscurité presque complète ; le chasseur retourna sur ses pas pour se procurer de la lumière afin de continuer ses recherches que l’ombre rendait impossibles.

Arrivé à l’entrée de la grotte, il profita d’une dernière lueur de jour pour jeter un regard autour de lui ; plusieurs torches de bois d’ocote étaient rangées avec soin sur le seuil même de la caverne ; le jeune homme s’empressa de battre le briquet afin de se procurer du feu ; puis, une torche allumée à la main, il s’enfonça résolument dans l’intérieur.

Au moment où, après avoir parcouru sans résultat plusieurs corridors, il commençait à soupçonner le Chat-Tigre de l’avoir trompé, il aperçut à une assez grande distance devant lui une lueur d’abord incertaine, qui grandit peu à peu en se rapprochant et finit par jeter une clarté assez brillante pour lui permettre de reconnaître doña Hermosa.

La jeune fille tenait, elle aussi, une torche à la main, elle marchait d’un pas lent et incertain, la tête baissée comme une personne en proie à une vive douleur.

Doña Hermosa avançait de plus en plus, déjà elle ne se trouvait plus qu’à une cinquantaine de pas du jeune homme. Ne sachant comment attirer son attention, il se préparait à jeter un cri d’appel, lorsque le hasard voulut qu’elle relevât la tête. En apercevant un homme devant elle, elle s’arrêta, et l’interpellant avec une certaine hauteur :

— Pourquoi entrez-vous dans cette galerie ? lui dit-elle ; ne savez-vous donc pas que votre chef a défendu que personne vienne m’y troubler ?