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LES CHASSEURS D’ABEILLES

cheval sont tombés de compagnie. Pauvre bête ! ajouta-t-il avec un sourire ironique.

Ils marchèrent ainsi toute la journée. Plus ils avançaient, plus les serpents devenaient nombreux : ils les rencontraient par trois et par quatre ensemble. De loin en loin, les cadavres étendus en travers de la sente qu’ils suivaient leur prouvaient qu’ils étaient toujours sur la bonne piste et que le Chat-Tigre avait laissé la plupart de ses compagnons ; en route. Malgré tout leur courage, les jeunes gens ne pouvaient s’empêcher de frissonner au spectacle affreux que depuis le matin ils avaient sous les yeux en traversant cette effroyable région.

Tout à coup le chasseur s’arrêta, pencha le corps en avant, et, faisant signe à son compagnon de demeurer immobile, il prêta attentivement l’oreille.

— Je ne m’étais pas trompé, dit-il au bout d’un instant d’une voix contenue : quelqu’un vient vers nous.

— Quelqu’un ? répondit avec étonnement don Estevan, c’est impossible !

— Pourquoi donc ? reprit le chasseur, nous sommes bien ici, nous ; pourquoi d’autres n’y seraient-ils pas ?

— C’est juste, fit le jeune homme ! Qui cela peut-il être ?

— Nous le saurons bientôt ; venez. Et il entraîna son ami vers un épais buisson derrière lequel ils se blottirent.

— Armez votre fusil, Estevan, dit-il, nous ne savons pas en face de qui nous allons nous trouver.

Le mayordomo obéit sans répondre, les deux hommes demeurèrent immobiles, attendant l’arrivée de l’individu dont ils entendaient maintenant les pas résonner à peu de distance.

Depuis une heure environ, le sentier que suivaient nos explorateurs montait d’une façon assez rapide en formant des coudes fréquents, signe infaillible qu’ils ne tarderaient pas à quitter la région des marécages pour atteindre la zone où les serpents ne s’élèvent pas.

Bientôt le chasseur vit une ombre se dessiner à quelques pas de lui, à l’angle de la sente, et un homme parut : don Fernando le reconnut immédiatement à sa haute taille et à sa longue barbe blanche : c’était le Chat-Tigre.

Le chasseur se pencha vivement à l’oreille de son compagnon, lui dit quelques mots, et, se ramassant sur lui-même, il bondit au milieu de la sente, à dix pas au plus du Chat-Tigre.

À cette apparition imprévue, celui-ci ne témoigna aucune surprise.

— J’allais te chercher, dit-il d’une voix calme en s’arrêtant.

— Alors, votre voyage est terminé, répondit sèchement le jeune homme, puisque me voilà.

— Non, pas encore, car, pendant que tu monteras à mon campement, je me rendrai au tien.

— Vous croyez ? fit le chasseur en ricanant.

— Certes : aurais-tu la prétention de me barrer le passage, par hasard ? dit le Chat-Tigre d’une voix railleuse.

— Pourquoi non ? Ne trouvez-vous pas qu’il soit temps que nous ayons une explication ?