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LES CHASSEURS D’ABEILLES

contre les dangers que vous allez affronter : allez sans crainte, quoi que vous entrepreniez, j’ai la conviction intime que vous réussirez. Au revoir !

— Merci ! ma mère, répondirent les deux jeunes gens émus jusqu’aux larmes.

La pauvre femme les tint un instant étroitement réunis sur sa poitrine, puis se dégageant enfin par un effort suprême :

— Souvenez-vous, dit-elle, de cette maxime tirée du code de l’honneur : Fais ce que dois, arrive que pourra ! Au revoir, au revoir !

Elle se détourna brusquement et rentra précipitamment dans le jacal, car, malgré d’énergiques efforts, elle sentait les larmes la gagner et ne voulait pas pleurer devant eux, de crainte d’affaiblir leur résolution.

Les jeunes gens demeurèrent un instant pensifs, les yeux fixés sur le jacal.

— Vous le voyez, ami, dit enfin don Estevan, ma mère elle-même est venue m’ordonner de vous suivre.

— Que votre volonté soit faite. Estevan, répondit le jeune homme avec un soupir étouffé, je ne dois pas m’opposer plus longtemps à votre désir.

— Enfin ! s’écria le mayordomo avec joie.

Le chasseur examina attentivement le ciel.

— Il est deux heures du matin, dit-il : à trois heures et demie il fera jour ; il faut nous mettre en route.

Sans répondre, le jeune homme alla chercher le cheval du chasseur et le sien ; les selles furent mises en un instant. Ils sortirent du camp et, enfonçant les éperons dans les flancs de leurs montures, ils partirent à fond de train.

Au lever du soleil, ils avaient fait six lieues. Ils côtoyaient alors les rives verdoyantes d’un de ces nombreux cours d’eau ignorés qui sillonnent le désert dans tous les sens et vont, après un parcours plus ou moins long, se perdre dans un grand fleuve.

— Arrêtons-nous quelques instants, dit le chasseur, d’abord pour laisser souffler nos chevaux et ensuite pour prendre quelques précautions indispensables à la réussite de nos projets.

Ils mirent pied à terre et, ôtant la bride à leurs montures afin qu’elles puissent paître à leur aise, ils les laissèrent brouter en liberté les hautes herbes du bord de la rivière.

— Le moment est venu, mon ami, dit alors don Fernando à son compagnon, que je vous initie à une opération indispensable pour éviter les plus grands dangers qui nous menacent, et que je vous révèle un secret dont nous autres, les Chasseurs d’Abeilles, sommes possesseurs. A dix lieues d’ici à peine, nous entrerons dans la région habitée par les serpents, nous devons nous précautionner contre leurs morsures mortelles, car nous ne rencontrerons sur notre route que des reptiles de l’espèce la plus dangereusement venimeuse.

— Diable ! fit le jeune homme en pâlissant légèrement.

— Je vais vous instruire : lorsque nous aurons endossé nôtre cuirasse, nous pourrons impunément marcher sur la tête des serpents les plus redoutables.