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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Le prisonnier paraissait prendre du reste son mal en patience, il se dandinait agréablement sur sa monture, portait la tête aussi haute et avait l’air aussi effronté que si de rien n’était.

En arrivant auprès du feu où se tenaient nos personnages, il les salua poliment et ne parut pas le moins du monde inquiet de la froideur avec laquelle on le recevait.

Il est vrai que cet homme n’était autre que Tonillo el Zapote, le digne vaquero que déjà plusieurs fois nous avons eu occasion de présenter au lecteur.

La réception faite à don Fernando fut des plus chaudes et des plus amicales ; ses amis, dont la curiosité était excitée au plus haut degré, brûlaient de l’interroger, d’autant plus que l’expression ouverte et presque joyeuse de sa physionomie leur donnait à supposer qu’il était porteur de bonnes nouvelles.

Don Fernando, après avoir pressé les trois mains qui lui avaient été spontanément tendues, mit pied à terre, dénoua la sangle qui attachait, sous le ventre du cheval, les jambes du prisonnier, et lui rendit la liberté de ses membres.

— Ouf ! dit le vaquero, je vous remercie, don Fernando ; caspita ! je commençais à en avoir assez, je vous jure ; les jambes me piquent comme si l’on y avait enfoncé un millier d’épingles.

Et il sauta à terre, mais il avait dit vrai : ses jambes engourdies ne purent supporter le poids de son corps, et il tomba lourdement sur le sol.

Le capataz s’empressa de le relever.

— Ce n’est rien, dit-il en lui souriant gracieusement ; je vous remercie, caballero, dans cinq minutes la circulation du sang sera rétablie et il n’y paraîtra plus ; c’est égal, don Fernando, ajouta-t-il, une autre fois, je vous prie, serrez un peu moins fort.

— Cela dépendra de vous, Zapote ; jurez-moi de ne pas chercher à vous échapper, et je vous laisserai libre.

— S’il ne s’agit que de cela, dit gaîment le vaquero, ce sera bientôt terminé entre nous : je vous jure, sur l’espoir que j’ai d’aller après ma mort en paradis, de ne pas m’échapper.

— C’est bien, je me fie à vous, faites-y attention.

— Un honnête homme n’a que sa parole, répondit el Zapote ; vous n’aurez aucun reproche à m’adresser ; je suis esclave de ma parole.

— Tant mieux pour vous, si cela est vrai, mais j’en doute beaucoup, surtout d’après votre manière d’agir à mon égard dans ces derniers temps, après les protestations dont vous m’aviez accablé et vos offres de service.

Le vaquero ne fut nullement embarrassé par cette attaque directe.

— C’est le sort des hommes doués de certaines qualités de cœur d’être méconnus, dit-il d’une voix pateline, je n’ai jamais manqué à la promesse que je vous ai faite.

— Même lorsque, après avoir introduit par trahison les Indiens dans le présidio avec d’autres drôles de votre espèce, vous me tendiez un piège infâme et me faisiez tomber dans un hideux guet-apens ?

Le vaquero sourit avec finesse.