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LES CHASSEURS D’ABEILLES

La plaza mayor du pueblo présentait ce jour-là un aspect inaccoutumé : un large échafaud, recouvert d’un tapis de velours rouge, s’élevait au centre.

Sur cet échafaud était placée une butacca en bois de mahogany ou bois acajou ; à droite de ce fauteuil, il s’en trouvait un autre plus bas et plus simple, plusieurs équipales étaient rangés en demi-cercle derrière ces deux sièges.

À midi précis, au moment où le soleil arrivé à son zénith fait rayonner ses chauds et éclatants rayons, cinq coups de canon tirés à intervalles égaux éclatèrent majestueusement.

Au même instant, par chacune des entrées de la place, débouchèrent les diverses tribus apaches qui composaient l’armée du Chat-Tigre, conduites par leurs principaux sachems et revêtues de leurs habits de cérémonies.

Ces guerriers étaient peu nombreux et formaient un effectif de quinze cents hommes tout au plus, car, suivant la coutume indienne, aussitôt après la prise du présidio, le butin avait été envoyé sous bonne escorte dans les villages, et la plus grande partie des Indiens s’étaient débandés pour rejoindre leurs atepelts ; ceux qui restaient étaient les fidèles, des guerriers expérimentés et dévoués de cœur au Chat-Tigre.

Celui-ci, après la défaite des Mexicains, n’avait pas cru nécessaire de conserver plus de monde près de lui, d’autant plus qu’il savait qu’au premier signal les déserteurs le rejoindraient immédiatement.

Au fur et à mesure que les tribus arrivaient sur la place, elles se rangeaient en bon ordre sur trois côtés, laissant vide le quatrième, qui du reste fut presque immédiatement occupé par une troupe de deux cents vaqueros à peu près qui, de même que les Indiens, restèrent immobiles à l’endroit qui leur était assigné.

Seulement, les Indiens étaient à pied et presque sans armes, n’ayant conservé que leurs machetes à la ceinture, au lieu que les vaqueros étaient à cheval et armés jusqu’aux dents.

Quelques rares curieux, Anglais, Français ou Allemands, qui étaient restés dans la ville à la suite de l’occupation, montraient çà et là leurs visages effarés aux fenêtres des maisons de la place.

Les femmes indiennes, groupées en désordre derrière les guerriers, avançaient curieusement la tête par-dessus l’épaule de ceux-ci pour voir ce qui allait se passer.

Le centre de la place était libre.

Devant l’échafaud se tenait, au pied d’un autel grossier en forme de table, avec une profonde rainure, et surmonté d’un soleil, le grand amantzin des Apaches, accompagné de cinq sorciers d’un ordre inférieur. Tous avaient les bras croisés sur la poitrine et les regards dirigés vers la terre.

Lorsque chacun eut pris place, cinq autres coups de canon retentirent.

Alors une brillante cavalcade arriva en caracolant sur la place.

En tête venait le Chat-Tigre, l’air fier et l’œil étincelant, tenant en main le totem, et ayant à sa droite don Torribio, portant le grand calumet sacré.

Derrière eux venaient don Pedro, sa fille et plusieurs des principaux habitants de la ville.