Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
LES CHASSEURS D’ABEILLES

— C’est ce que je vais faire. Ce que les Espagnols redoutent surtout dans une insurrection indienne, ce sont les représailles, c’est-à-dire le massacre des blancs. Mon mariage avec une Mexicaine est un gage de paix que nous donnons aux Espagnols et une sécurité pour l’avenir de leur commerce et la sûreté des relations que nous établirons avec eux ; quelles que soient les objections des chefs de nos tribus, notre route est tracée ; le Chat-Tigre et moi, nous n’en dévierons pas d’une ligne. Je vous adresse donc cette franche et loyale question, señorita : « Voulez-vous m’accorder votre main ? »

— Qui nous presse en ce moment de traiter une si grave matière, don Torribio ? répondit-elle. N’êtes-vous pas sûr de moi ?

Le jeune homme fronça le sourcil.

— Toujours la même réponse ! dit-il. Enfant qui jouez avec le lion ; si je ne vous avais pas soutenue depuis huit jours, vous auriez été massacrée déjà. Croyez-vous donc que j’ignore vos petites manœuvres et que je n’aie pas vu clair dans vos combinaisons ? Vous avez voulu jouer un jeu qui tue ; imprudente ! vous vous êtes laissé prendre dans les filets que vous m’aviez tendus. Vous êtes en mon pouvoir ; à moi maintenant à vous dicter mes conditions : demain, vous m’épouserez : la tête de votre père et celle de don Fernando me répondront de votre obéissance.

Et, saisissant une carafe en cristal pleine d’une eau limpide, il remplit son verre et le vida d’un trait, tandis que doña Hermosa fixait sur lui un regard étrange.

— Dans une heure, ajouta-t-il en posant sur la table son verre, qui se brisa, je veux que vous assistiez à la cérémonie auprès de moi.

— J’y serai, répondit-elle.

— Adieu ! dit-il d’une voix sombre ; et il sortit en lui lançant un dernier regard.

La jeune fille se leva vivement, saisit la carafe et en vida le contenu en murmurant :

— Don Torribio, don Torribio, tu me Tas dit toi-même, entre la coupe et les lèvres il y a la mort !

— Il faut en finir, dit don Pedro.

Sur un signe de sa fille il sortit sur la terrasse de la maison et plaça deux jardinières chargées de fleurs auprès de la balustrade.

Il paraît que cela était un signal : car ces jardinières étaient placées depuis quelques minutes à peine, lorsque Manuela entra vivement dans le salon en disant :

— Il est là.

— Qu’il entre ! s’écrièrent à la fois don Pedro et sa fille.

Don Estevan entra dans la salle à manger.

L’haciendero, après avoir recommandé à Na Manuela la plus grande vigilance, ferma les portes avec soin et vint s’asseoir auprès du jeune homme auquel il dit à demi-voix :

— Eh bien, Estevan, mon ami, quoi de nouveau ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .