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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Mais j’en arrive il y a à peine une demi-heure, murmura le lepero encore à moitié endormi en se frottant les yeux.

— Je le sais bien, répondit le jeune homme, c’est pour cela que je t’y renvoie, tu dois en bien connaître la route ; d’ailleurs, c’est de la part de doña Hermosa.

— De la part de doña Hermosa ! s’écria le lepero, que ce nom réveilla subitement ; et se levant avec vivacité : parlez, que faut-il faire ?

— Bien, mon ami, voilà comme je vous aime ; vous allez monter à cheval sans délai et porter cette lettre à don Pedro ; elle est de sa fille, c’est vous dire combien elle est importante.

— Très bien, je pars à la minute.

— Je n’ai pas besoin de vous avertir que vous ne devez pas vous laisser enlever ce griffonnage.

— Je le vois bien, canarios !

— Vous vous ferez tuer plutôt que de le livrer.

— Oui, soyez tranquille, mayordomo.

— Et, même après votre mort, on ne le trouvera pas ?

— Je le mangerai plutôt, rayo de Dios !

Le Zapote, un quart d’heure après, s’élançait au galop sur la route de l’hacienda.

— A mon tour, maintenant, murmura le jeune homme dès qu’il fut seul. Comment parvenir jusqu’à doña Hermosa ?

Il parait qu’il trouva facilement le moyen qu’il cherchait, car ses sourcils, qui s’étaient froncés, s’écartèrent, et il se dirigea gaîment vers le fort.

Après une conférence avec le major Barnum, qui, depuis la mort du gouverneur, avait pris le commandement de la ville, Estevan quitta son costume ; il se déguisa en Indien et se dirigea vers le camp des Apaches.

Quelques minutes avant le lever du soleil, il était de retour à la ville.

— Eh bien ? lui demanda sa mère.

— Tout est pour le mieux, répondit-il. Vive Dios ! je crois que doña Hermosa fera payer cher à ce démon maudit l’enlèvement de don Fernando Garril.

— Dois-je aller la rejoindre ?

— Non, ce n’est pas nécessaire.

Et, sans entrer dans de plus grands détails, le jeune homme, qui tombait de fatigue, alla prendre quelques heures de repos.

Quelques jours se passèrent sans que les Indiens attaquassent de nouveau la ville, ils se contentèrent de la resserrer de plus en plus, sans chercher à s’en emparer ; leur projet semblait être de ne pas tenter un nouvel assaut, mais d’affamer ses habitants et de les obliger ainsi à se rendre.

La ville était si étroitement bloquée qu’il était impossible aux assiégés de faire un pas au dehors ; toutes leurs communications étaient coupées, et les vivres commençaient à leur manquer ; tous les bestiaux rentrés dans la ville au commencement du siège avaient été tués les uns après les autres ; les Mexicains en étaient réduits à en manger les cuirs.