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LES CHASSEURS D'ABEILLES

— Qui vive ?

— Ami ! répondit-elle en réprimant un cri d’effroi.

— Ma mère ! reprit la voix avec la joie la plus vive.

— Estevan, mon fils chéri ! s’écria-t-elle avec bonheur, et elle se laissa aller dans les bras de son fils, qui la tint un instant serrée contre sa vigoureuse poitrine.

— D’où viens-tu donc ainsi ? reprit-il au bout d’un instant.

— Du camp des Peaux-Rouges.

— Déjà ? fit-il avec étonnement.

— Oui, ma maîtresse m’envoie vers toi.

— Et qui était l’homme qui t’accompagnait, petite mère ?

— Don Torribio lui-même.

— Malédiction ! murmura le mayordomo. Je l’ai laissé échapper, et depuis cinq minutes je le tenais au bout de mon fusil… Enfin ! Mais ne restons pas ici. Viens avec moi ; lorsque tu seras en sûreté, tu me rapporteras ce que ta maîtresse t’a chargé de me dire.

Lorsqu’ils furent au présidio, Estevan se fit raconter par sa mère ce qui leur était arrivé pendant leur expédition.

— Oh ! dit-il plusieurs fois, les femmes sont des démons, les hommes ne sont que des niais à côté d’elles.

Lorsque Manuela eut terminé son récit :

— Il n’y a pas un instant à perdre, lui dit-il, ma mère ; il faut absolument que don Pedro reçoive sa lettre cette nuit. Le pauvre père doit être dans, une inquiétude mortelle.

— Je vais partir, dit Manuela.

— Non, reprit-il, tu as besoin de repos. J’ai avec moi un homme qui s’acquittera parfaitement de cette commission.

— Comme tu voudras, fit-elle en lui remettant la lettre.

— Oui, cela vaudra mieux ainsi ; entre dans cette maison, la digne femme à qui elle appartient me connaît et elle aura soin de toi.

— Iras-tu trouver doña Hermosa ?

— Pardieu ! pauvre demoiselle, penses-tu que je veuille la laisser ainsi sans protection au milieu des païens, et puis, qui sait ! peut-être ce qu’elle a à me dire est-il important pour nous.

— Merci, Estevan ! toujours dévoué ! Je te reconnais bien là.

— Que veux-tu, mère ? dit le mayordomo en riant, il paraît que c’est ma vocation.

Il embrassa sa mère, la fit entrer dans la maison, et, après l’avoir chaudement recommandée à la propriétaire, il ressortit et se mit à la recherche de l’émissaire qu’il voulait expédier à don Pedro de Luna.

Autour d’un feu brillant allumé au milieu d’une rue, plusieurs hommes reposaient enveloppés dans leurs manteaux.

Estevan secoua rudement du pied l’un des dormeurs.

— Allons, allons, Tonillo ! lui dit-il, debout, mon garçon, il faut partir pour l’hacienda de las Norias.