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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Oh ! señorita, dit-il en repoussant la lettre du geste, ce qu’une fille écrit à son père est sacré ; nul autre que lui ne doit le lire.

Doña Hermosa referma lentement la lettre sans témoigner la moindre émotion du péril immense qu’elle venait de courir, et la remettant à Manuela :

— Ma mère, lui dit-elle, vous ne donnerez ce billet qu’à mon père seul, et vous lui expliquerez ce que je ne puis lui marquer sur ce papier.

— Permettez-moi de me retirer, señorita, interrompit don Torribio ; je ne veux rien savoir des instructions que vous avez à donner à votre suivante.

— Je m’y oppose, fit-elle d’une voix mutine, je ne dois plus avoir rien de caché pour vous ; désormais vous connaîtrez mes plus secrètes pensées.

Le jeune homme sourit avec bonheur ; en ce moment on amena les chevaux.

Doña Hermosa profita des quelques paroles que don Torribio échangea avec l’Apache pour dire rapidement à Manuela :

— Il faut que ton fils soit ici dans une heure, s’il est possible.

La vieille femme lui fit un signe d’intelligence.

Le jeune Mexicain rentra dans le toldo.

— Je vais accompagner moi-même Na Manuela jusqu’auprès des retranchements du présidio, dit-il : de cette façon vous serez sûre que votre émissaire n’aura couru aucun danger.

— Je vous remercie, répondit doña Hermosa.

Les deux femmes se jetèrent dans les bras l’une de l’autre, et s’embrassèrent comme si elles ne devaient plus se revoir.

— N’oublie pas ! murmura doña Hermosa.

— Soyez tranquille, répondit Manuela.

— Vous êtes ici chez vous, señorita, dit don Torribio, personne n’y pénétrera sans votre assentiment.

Doña Hermosa le remercia d’un sourire et l’accompagna jusqu’à la sortie du toldo ; Manuela et le jeune homme montèrent à cheval et partirent.

La jeune Américaine les suivit des yeux dans la nuit, et lorsque le pas de leurs chevaux se fut confondu aux autres bruits du camp elle rentra dans le toldo en murmurant :

— La partie est engagée, maintenant il faut qu’il me dévoile ses projets.

Un quart d’heure plus tard, Manuela et son guide arrivèrent à cinquante pas au plus du pueblo.

Les deux voyageurs n’avaient pas échangé une parole.

— Ici vous n’avez plus besoin de moi, dit don Torribio ; gardez ce cheval, il pourra vous servir ; que Dieu vous conduise !

Sans ajouter une parole, il tourna bride et regagna le camp, laissant la vieille dame seule.

Celle-ci ne s’effraya pas, elle jeta un regard autour d’elle afin de s’orienter, puis elle s’avança résolument du côté de la ville dont la masse sombre s’élevait devant elle à une légère distance.

À peine Manuela avait-elle fait quelques pas dans cette direction qu’une main vigoureuse saisit la bride de son cheval, tandis qu’un pistolet était appuyé sur sa poitrine, et qu’une rude voix lui disait à voix basse en espagnol :