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LES CHASSEURS D’ABEILLES

fait la menace à don Torribio, le nom de l’homme qui l’avait si lâchement attaqué et entre les mains duquel don Fernando était tombé.

De ce moment, don Torribio avait été perdu dans l’esprit de don Pedro et de sa fille.

Après ce commencement de vengeance, le mayordomo s’était mis en campagne afin d’apprendre des nouvelles de son ami ; le hasard lui avait été favorable en lui faisant rencontrer el Zapote. Le digne et consciencieux vaquero était alors dans les meilleures dispositions pour donner tous les renseignements qu’on lui demanderait, ayant été le matin même, par suite d’une veine funeste qui s’était acharnée sur lui, complètement décavé au monte et laissé sans un ochavo. Au moyen de quelques onces adroitement données, le mayordomo parvint à apprendre dans les plus grands détails tout ce qui s’était passé et le lieu dans lequel était caché don Fernando.

Aussitôt qu’il eut appris ce qu’il désirait savoir, don Estevan se hâta de laisser là le vaquero et de retourner à l’hacienda.

Doña Hermosa n’était pas une femme ordinaire : elle était douée d’une grande énergie ; de plus, elle aimait don Fernando : elle résolut de le délivrer, mais elle garda le silence, craignant d’inquiéter son père ; seulement elle manifesta le désir d’aller passer un jour ou deux à l’hacienda de las Norias, ce à quoi consentit facilement don Pedro, à la condition qu’elle prendrait avec elle une escorte nombreuse de peones résolus et bien armés.

Au lieu de se rendre à l’hacienda, la jeune fille était venue au présidio, dans lequel elle était parvenue à s’introduire sans être aperçue par les Indiens.

Une fois dans le pueblo, elle avait révélé son projet à don Estevan.

Celui-ci fut effrayé du sang-froid avec lequel la jeune fille lui détailla le plan qu’elle avait conçu, plan dans lequel non seulement elle, mais encore la mère du mayordomo, devait jouer un rôle.

Tous les efforts que tenta le jeune homme pour la faire renoncer à son projet furent inutiles ; bon gré mal gré il fallut qu’il lui obéit.

Lorsque la barque qui emportait don Fernando eut disparu, don Estevan se tourna vers doña Hermosa.

— Et maintenant, lui dit-il, señorita, que voulez-vous faire ?

— Maintenant, répondit-elle d’une voix brève, je veux m’introduire dans le camp des Apaches et voir don Torribio.

Le mayordomo ne put s’empêcher de tressaillir.

— C’est le déshonneur et la mort qui vous y attendent ! dit-il d’une voix sourde.

— Non, reprit-elle résolument, c’est la vengeance !

— Vous le voulez ?

— Je l’exige.

— Très bien, dit-il, je vous obéirai. Allez vous habiller, je vous conduirai moi-même au camp des Indiens.

Les trois personnes retournèrent à la maison de don Pedro, où elles logeaient, sans échanger une parole.

La nuit était complètement venue. Les rues étaient désertes. Un silence de mort pesait sur la ville, illuminée par les sinistres lueurs du vieux présidio,