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LES CHASSEURS D’ABEILLES

ici ont causé l’espèce de léthargie dans laquelle il est tombé et dont il ne tardera pas à sortir.

— Bon, bon ! alors que ferai-je ?

— Il ne faut pas qu’il me voie.

— Très bien ! ceci est la moindre des choses.

— Il ne faut pas non plus qu’il vous reconnaisse.

— Hum ! c’est plus difficile, cela : il me connaît beaucoup.

— C’est important !

— On tâchera.

— Voici ce que vous allez faire.

— J’écoute.

— Je vais vous quitter à l’instant ; ma présence est nécessaire ailleurs ; pour vous, vous allez, sans qu’il sache par qui, faire transporter don Fernando au présidio.

— Au présidio ! s’écria Pablito avec surprise.

— Oui, c’est l’endroit le plus sûr, dit le chef en tirant un papier taillé d’une certaine façon ; vous le conduirez chez moi ; sous aucun prétexte il ne doit en sortir ; surtout il faut qu’il ignore qu’il est au présidio.

— Voilà tout ?

— Oui, seulement souvenez-vous que vous me répondez de lui.

— Fort bien ! À votre commandement je vous le représenterai mort ou vif.

— Vif, sa vie m’est précieuse.

— Enfin je tâcherai.

— Voyons, Pablito, soyez franc avec moi. Puis-je, oui ou non, compter sur vous ?

— Enfin, dit Pablito, puisque vous tenez tant à cette misère ! soyez tranquille, je vous réponds de votre prisonnier.

— Alors adieu et merci, dit le Chat-Tigre, surtout souvenez-vous bien de m’annoncer ce soir devant don Torribio la mort de son ennemi.

— Rapportez-vous-en à moi pour cela.

— Ah ! murmura le vieux partisan, non, non, je ne veux pas qu’il meure, sa vie m’est trop nécessaire pour l’accomplissement de ma vengeance.

Il rejoignit don Torribio qui l’attendait avec impatience.

Tous deux montèrent sans échanger une parole sur de magnifiques mustangs qui les attendaient et disparurent bientôt dans les détours de la route. Pablito revint auprès du blessé d’un air de mauvaise humeur en se tordant la moustache ; évidemment la mission qui lui était confiée ne lui convenait que médiocrement, cependant comme le vaquero était honnête à sa façon, et que parmi les nombreuses qualités qu’il se flattait de posséder, la fidélité de sa parole était de celles dont il se piquait le plus, la pensée ne lui vint pas un seul instant d’y manquer.

— Comment va-t-il ? demanda-t-il à voix basse à Carlocho.

— Mais beaucoup mieux, répondit celui-ci ; c’est étonnant comme la saignée lui a fait du bien : il a déjà ouvert les yeux deux fois ; il a même essayé de parler.

— Hum ! nous n’avons pas de temps à perdre alors, vous allez bander les