précédente. La lueur énorme produite par les flammes de l’incendie donnait à la malheureuse ville de San-Lucar et au camp des Indiens des reflets fantastiques qui plongeaient les habitants dans la tristesse et la stupeur ; ils comprenaient qu’ils n’avaient rien à attendre de tels ennemis.
Le colonel semblait de fer ; il ne prenait pas un instant de repos, visitant continuellement les postes et cherchant par tous les moyens à augmenter la défense de la ville.
Les deux officiers venaient de rentrer au fort après avoir fait une dernière tournée ; la nuit était presque passée, et les Indiens, qui, deux ou trois fois, avaient en vain essayé de surprendre le presidio, s’étaient enfin retirés dans leur camp.
— Eh ! major, dit le colonel, vous le voyez, entre nous nous n’avons pas d’illusions à nous faire ; pour nous, ce n’est qu’une question de temps : serons-nous pris demain ou dans huit jours, voilà ce que personne ne peut prévoir, quoique chacun soit assuré du résultat.
— Hum ! quand le dernier moment sera venu, dit le major, nous aurons toujours la ressource de nous renfermer dans le fort et de l’envoyer à tous les diables avec nous.
— Malheureusement, mon ami, cette ressource même nous est enlevée.
— Comment cela ?
— Dame ! nous autres vieux soldats, nous pouvons fort bien nous faire sauter, nous le devons même, mais nous ne pouvons condamner les femmes et les enfants renfermés avec nous à une mort aussi cruelle.
— C’est vrai, dit le major d’un air rêveur, nous ne le pouvons pas ; mais j’y songe, j’aurai toujours la ressource de me faire sauter la cervelle.
— Pas même cette dernière consolation, mon ami : ne devons-nous pas donner l’exemple aux pauvres gens qui sont ici et que notre devoir est de protéger jusqu’à la fin ? ne faut-il pas que nous restions les derniers debout sur la brèche ?
Le major ne répondit pas à ce dernier argument qu’il trouvait intérieurement sans réplique.
— Mais, dit-il au bout d’un instant, comment se fait-il que nous n’ayons pas encore reçu de nouvelles de la capitale de l’État ?
— Eh ! mon ami, ils ont probablement là-bas bien autre chose à faire qu’à penser à nous.
— Oh ! je ne puis le croire.
En ce moment un assistente entr’ouvrit la porte et annonça :
— Don Torribio Quiroga !
Les deux hommes tressaillirent sans pouvoir se rendre compte de la raison qui leur causait cette émotion subite.
Don Torribio Quiroga entra.
Il était revêtu d’un magnifique uniforme de colonel de l’armée mexicaine et portait au bras gauche l’écharpe d’aide de camp.
Il salua les deux officiers avec déférence.
— Est-ce donc vous, don Torribio ? murmura le colonel.
— Mais je le suppose, répondit don Torribio en souriant.