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LES CHASSEURS D'ABEILLES

— Non : c’est à vous de nous arrêter, nous ne pouvons rester sans agir : ainsi tenez-vous sur vos gardes.

— Merci de votre franchise, chef, dit le major, je suis heureux de rencontrer un Indien qui ne soit pas complètement un coquin. À demain.

— À demain, dirent les chefs avec courtoisie, frappés malgré eux de la noblesse du vieil officier.

Le major se retira lentement comme il était venu, sans témoigner la moindre appréhension.

Le colonel l’attendait aux barrières avec la plus grande anxiété ; cette longue entrevue l’avait rempli d’inquiétude ; il avait tout préparé afin de venger les insultes que l’on aurait faites à son envoyé.

Dès que le major arriva, il se hâta de le joindre.

— Eh bien ? lui dit-il avec une impatience fébrile.

— Ils ne cherchent qu’à gagner du temps afin de nous jouer quelqu’une de leurs diableries.

— Que demandent-ils, en somme ?

— Leurs prétentions sont absurdes, et ils le savent bien, car ils avaient l’air de se moquer de nous en me les soumettant ; ils prétendent que le sachem qui, il y a deux cents ans, a cédé ce territoire aux Espagnols, n’avait pas le droit de vendre la terre ; ils exigent que nous la leur rendions sous vingt-quatre heures ; sans cela, vous le savez, les menaces habituelles… Ah ! ajouta le major avec un sourire ironique, j’oubliais de vous dire, colonel, qu’ils prétendent être prêts à rembourser tout ce que ce sachem a reçu pour la vente de cette terre. Voilà tout ce que j’étais chargé de vous transmettre.

Le colonel haussa les épaules avec mépris.

— Ces démons sont fous, dit-il, ou bien ils essaient de nous endormir, afin de nous tromper plus facilement.

— Que comptez-vous faire ? reprit le major.

— Redoubler de vigilance, mon ami, car je crois que nous ne tarderons pas à avoir maille à partir avec eux de nouveau ; c’est surtout le vieux presidio qui m’inquiète.

— Retournez au fort, moi je demeurerai à ce poste avancé dont je prendrai le commandement ; il est surtout important qu’en cas d’échec nos communications ne soient point coupées avec la place et que nous puissions effectuer notre retraite sans trop de pertes.

— Je vous laisse liberté de manœuvre, mon cher major, certain que vous agirez pour le mieux.

Les deux vieux soldats se séparèrent après un chaleureux serrement de main.

La garnison du vieux presidio se composait en grande partie de vaqueros et de leperos, gens sur la fidélité desquels, nous devons l’avouer, le major ne comptait que médiocrement. Mais le vieil officier renferma au fond de son cœur les appréhensions qui le tourmentaient et feignit au contraire de témoigner à ces individus plus que suspects la plus entière confiance.

La journée s’écoula assez tranquillement ; les Apaches, blottis comme des taupes derrière leurs retranchements en terre, semblaient déterminés à ne