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LES CHASSEURS D’ABEILLES

bestiaux et des prisonniers. Ces hommes mettent tout à feu et à sang sur leur passage, ils marchent rapidement sur le presidio, pendant que des troupes se détachent de temps en temps pour détruire les haciendas qui se trouvent sur leur passage ; l’hacienda de Piedra-Rosa et celle de San-Blas n’existent plus, elles sont en ce moment un monceau de cendres sous lequel sont ensevelis leurs malheureux propriétaires. Voici mes nouvelles, Seigneuries, faites-en ce que vous voudrez.

— Et ces chevelures ? dit le major en désignant les trophées sanglants qui pendaient à la ceinture du vaquero.

— Oh ! cela, ce n’est rien, fit-il avec un sourire de triomphe ; comme je m’étais un peu trop rapproché des Indiens pour juger convenablement de leur force et de leurs intentions, ils m’ont aperçu et ils ont naturellement cherché à s’emparer de moi, ce qui fait que nous nous sommes un peu chamaillés.

— Ces Indiens ne sont sans doute qu’un parti de pillards des prairies qui veulent voler des bestiaux et qui se retireront dès qu’ils auront assez du butin.

— Hum ! dit Tonillo en hochant la tête, je ne le crois pas ; ils sont trop nombreux, trop bien équipés, et agissent avec trop d’ensemble pour cela. Mon colonel, ces gens ont un autre but ; je me trompe fort, ou c’est une guerre acharnée qu’ils veulent nous faire.

Le gouverneur échangea un regard avec ses officiers.

— Merci ! dit-il au Zapote, je suis content de vous, votre conduite est celle d’un loyal Mexicain. Retournez à votre poste et redoublez de vigilance.

— Vous pouvez compter sur mes camarades et sur moi, colonel. Vous savez que nous n’aimons par les Indiens, répondit Tonillo ; et, après avoir salué les personnes présentes, il se retira.

— Vous le voyez, señores, dit le gouverneur, la position se fait à chaque instant plus critique, ne perdons pas de temps en vaines délibérations, allez.

— Un instant, fit le major, avant de nous séparer j’ai un avis à émettre.

— Parlez, mon ami, nous vous écoutons.

— Dans les circonstances impérieuses dans lesquelles nous sommes, nous ne devons rien négliger ; nous nous trouvons perdus sur un coin de terre éloigné de tous secours prompts et efficaces ; nous pouvons avoir un siège à soutenir au presidio, et alors nous risquons d’être pris par famine : je demande qu’une barque soit immédiatement expédiée au gouverneur général de l’État, pour exposer notre situation critique et demander des renforts, car il est impossible qu’avec le peu de forces dont nous disposons nous puissions longtemps résister aux envahisseurs.

Après ces paroles il y eut un instant d’un silence profond et solennel.

— Que dites-vous de l’avis que vient d’émettre le major Barnum, messieurs ? demanda enfin le colonel en promenant un regard interrogateur sur les officiers.

— Nous le croyons bon, colonel, répondit l’un d’eux au nom de ses camarades ; nous pensons qu’il est urgent de le mettre à exécution.