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LES CHASSEURS D’ABEILLES

sement serré la main, leurs traits reprirent l’expression marmoréenne qui leur était habituelle et ils quittèrent la salle à manger.

— Le coup a été rude, j’étais loin de m’y attendre, dit le colonel, mais, vive Dieu ! les païens trouveront à qui parler. Major, prévenez les officiers de se réunir tout de suite chez moi en conseil de guerre, afin de concerter nos moyens de défense.

— À la bonne heure ! répondit le major, je suis content de vous ; j’aime mieux vous voir ainsi fier, résolu et ferme, que faible et presque craintif comme vous l’étiez depuis quelques jours. Caraï ! je vous retrouve enfin, mon ami.

— Ah ! fit le gouverneur en souriant, il ne faut pas vous étonner de ce changement, mon cher Barnum ; il est, au contraire, on ne peut plus naturel. Depuis quelques jours j’étais en proie à de vagues pressentiments qui m’oppressaient et semblaient me menacer de malheurs d’autant plus grands, qu’ils m’étaient inconnus, au lieu que maintenant le coup est porté, je sais à quoi m’en tenir ; il ne me reste pas le moindre doute, mais nous en savons toutes les conséquences.

— C’est vrai, fit le major.

Et il sortit pour s’acquitter de la commission que son chef lui avait donnée.

Les officiers de la garnison se trouvèrent bientôt réunis chez le gouverneur. Ils étaient six, sans compter le major et le colonel.

Après les avoir invités à s’asseoir, don José Kalbris prit la parole :

— Caballeros, leur dit-il, vous savez sans doute pourquoi je vous ai convoqués ; les Indiens menacent encore une fois le presidio, je viens d’en recevoir la nouvelle certaine par l’un de nos éclaireurs, le plus brave, le plus fidèle et le plus intelligent de tous. Le cas est grave, señores, car il paraît qu’une ligue puissante s’est formée entre les Peaux-Rouges, et qu’ils marchent en grand nombre contre nous. Je vous ai donc réunis afin d’organiser vigoureusement la défense et de tâcher de trouver les moyens de donner aux sauvages une si rude leçon, que de longtemps l’envie ne leur reprenne pas d’envahir notre territoire. Mais d’abord voyons quels sont les moyens dont nous disposons.

— Les armes et les munitions ne nous manquent pas, dit le major, nous avons ici plus de deux cents milliers de poudre, des fusils, des sabres, des lances et des pistolets à foison, nos canons sont en bon état et abondamment fournis de boulets et de mitraille.

— Ah ! ah ! voilà qui est bon, fit le colonel en se frottant les mains.

— Malheureusement, reprit le major, si nous avons une grande quantité d’armes, nous n’avons que fort peu d’hommes capables de s’en servir.

— Combien avons-nous de soldats ?

— L’effectif devrait être de deux cent soixante-dix, mais par suite de maladie, de mort ou de désertion, il se trouve réduit à cent vingt tout au plus.

— Oh ! fit le colonel en secouant la tête, mais il me semble que ce nombre pourrait être augmenté. Nous sommes dans une de ces positions critiques où la fin justifie les moyens ; l’on doit faire flèche de tout bois : d’ailleurs, il