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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Moins d’une heure ? dit-il enfin, elle peut encore être sauvée.

L’étranger poussa un soupir de joie.

— Vous m’en répondez ? s’écria-t-il.

— Moi, fit l’inconnu en haussant les épaules, je ne réponds de rien autre que de tenter l’impossible pour réussir à vous la rendre.

— Oh ! sauvez-la ! s’écria le père avec effusion ; qui que vous soyez, je vous bénirai.

— Que m’importe ce que vous ferez ? dit-il, ce n’est pas pour vous que je tenterai de sauver cette enfant ; du reste, quels que soient les motifs qui m’y engagent, je vous tiens quitte de toute reconnaissance…

— C’est possible que vous pensiez ainsi, mais moi…

— Assez ! interrompit rudement l’inconnu ; nous n’avons que trop perdu de temps en paroles oiseuses ; hâtons-nous, si nous ne voulons qu’il soit trop tard.

Tous se turent.

L’inconnu regarda alors autour de lui.

Nous avons dit que les étrangers s’étaient arrêtés à la lisière de la forêt ; au-dessus de leur tête les derniers arbres du couvert étendaient leurs puissantes ramures.

L’inconnu s’approcha des arbres qu’il considéra avec soin, semblant chercher quelque chose qu’il ne trouvait pas. Soudain il poussa un cri de joie étouffé et, dégainant le long couteau attaché, à son genou droit, il coupa une liane, ramassa le morceau qu’il avait détaché et revint auprès des étrangers, qui suivaient tous ses mouvements avec une avidité inquiète.

— Tenez, dit-il à l’un d’eux qui semblait être un peon, ôtez toutes les feuilles de cette branche, puis hachez-les. Surtout hâtez-vous : chaque seconde vaut un siècle pour celle que nous voulons sauver.

Le peon s’occupa activement de la tâche qui lui était donnée.

L’inconnu se tourna alors vers le père de la jeune fille.

— À quelle partie du corps cette enfant a-t-elle été piquée ? lui demanda-t-il.

— Un peu au-dessous de la cheville gauche.

— Est-elle courageuse ?

— Pourquoi cette question ?

— Répondez, le temps presse.

— La pauvre enfant est bien accablée, bien faible.

— Enfin, il n’y a pas à hésiter, l’opération est nécessaire.

— Une opération ? s’écria l’étranger avec effroi.

— Aimez-vous mieux qu’elle meure ?

— Cette opération est-elle donc indispensable ?

— Oui ; nous n’avons perdu que trop de temps déjà.

— Faites, alors ! Dieu veuille que vous réussissiez !

La jambe de la jeune fille était affreusement enflée, le tour de la piqûre faite par le serpent, horriblement tuméfié, prenait déjà une couleur verdâtre.

— Oh ! oh ! murmura l’inconnu, il n’y a pas une seconde à perdre ; maintenez cette jeune fille pendant que je l’opérerai, de façon à ce qu’elle ne puisse faire un mouvement.