sentiment de douleur indéfinissable. Certes, cet homme est beau, ses manières sont élégantes et nobles, il a tout d’un gentilhomme de haute caste, et pourtant quelque chose en lui, je ne sais quoi, me glace et m’inspire une impulsion invincible.
— Tête romanesque ! fit en souriant don Pedro.
— Riez, moquez-vous de moi, mais, dit-elle avec un tremblement dans la voix, vous avouerai-je tout, mon père ?
— Parle avec confiance, mon enfant chérie.
— Eh bien ! j’ai le pressentiment que cet homme que j’ai cru aimer me sera funeste.
— Enfant ! reprit don Pedro en lui baisant le front, que peut-il te faire ?
— Je l’ignore, mon père, mais j’ai peur.
— Veux-tu que je rompe avec lui et que je ne le reçoive plus ?
— Gardez-vous-en bien ; ce serait sans doute hâter le malheur qui me menace.
— Allons ! tu es une enfant gâtée ; tu perds la tête et te plais à te créer des chimères. Toutes ces craintes et ces pressentiments supposés ne proviennent que de ton amour pour ton cousin. Le seul moyen de te rendre la tranquillité est de te marier avec lui le plus tôt possible, et, rassure-toi, ma chérie, c’est ce que je compte faire.
Doña Hermosa hocha tristement la tête à plusieurs reprises, baissa les yeux, mais ne répondit pas : elle avait senti que son père s’était complètement mépris sur la signification de ses paroles, et que toute tentative pour le ramener à son opinion serait inutile.
Au même moment, un peon annonça don Torribio Quiroga, qui entra dans le salon.
Le jeune homme était vêtu à la dernière mode de Paris, l’éclat des bougies rayonna sur son beau visage.
Le père et la fille tressaillirent, le premier de joie sans doute, la seconde certainement de crainte.
Don Torribio, après avoir salué doña Hermosa avec grâce, s’approcha d’elle et lui offrit respectueusement un superbe bouquet de fleurs exotiques ; elle le remercia d’un sourire contraint, prit le bouquet, et presque sans le regarder le jeta sur un guéridon.
On annonça successivement le gouverneur don José Kalbris, accompagné de tout son état-major et de deux ou trois autres familles, en tout une vingtaine de personnes, puis enfin don Estevan Diaz et don Fernando Carril.
Certes, il eût été impossible de reconnaître dans l’élégant cavalier annoncé par le peon, et qui accompagnait le mayordomo de l’hacienda, le hardi coureur des bois, le redoutable chasseur d’abeilles qui quelques jours auparavant avait rendu à don Pedro et à sa fille un si éminent service : sa tenue irréprochable, ses manières distinguées, tout enfin dans sa personne éloignait les soupçons ou, pour mieux dire, empêchait la comparaison.
Nous avons dit plus haut que don Fernando Carril, bien que son existence fût enveloppée d’un mystère impénétrable, était superficiellement connu de toute la société de la province et, grâce au laisser-aller des mœurs mexicaines,