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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Depuis leur enfance, et comme à leur insu, ils s’aimaient avec ce doux entraînement de la jeunesse qui ne songe qu’au bonheur.

Don Torribio était parti emportant avec lui son amour, ne doutant pas que doña Hermosa n’eût gardé le sien dans son cœur.

À peine de retour à la Vera-Cruz, après avoir visité en touriste les villes les plus renommées de l’univers civilisé, le jeune homme s’était hâté de mettre ordre à ses affaires et était parti pour San-Lucar, brûlant du désir de retrouver celle qu’il aimait et qu’il n’avait pas vue depuis trois années, son Hermosita, cette jolie enfant qui, sans doute, pensait-il, était devenue une belle jeune fille et une femme accomplie.

La surprise et la joie de don Pedro et de sa fille furent extrêmes. Hermosa fut surtout heureuse, car nous devons avouer que tous les jours elle pensait à don Torribio et le voyait à travers ses souvenirs d’enfance, mais en même temps elle ressentit au cœur je ne sais quelle commotion pleine de volupté et de douleur.

Don Torribio s’en aperçut : il comprit ou crut comprendre qu’on l’aimait encore, et son bonheur fut extrême.

— Allons, allons ! mes enfants, avait dit le père en souriant, embrassez-vous, je vous le permets.

Doña Hermosa avait tendu à Torribio son front rougissant, qu’il avait respectueusement effleuré de ses lèvres.

— Qu’est-ce que c’est que ce baiser-là ! s’était écrié don Pedro ; voyons, pas d’hypocrisie, embrassez-vous franchement, que diable ! Toi, Hermosa, ne fais pas ainsi la coquette parce que tu es une belle fille et qu’il est beau garçon ! et vous Torribio, qui tombez ici comme une bombe sans crier gare, croyez-vous, s’il vous plaît, que je n’aie pas deviné pour qui vous venez de faire plusieurs centaines de lieues à franc étrier ? Est-ce pour moi que vous arrivez de la Vera-Cruz et de San-Lucar ? Vous vous aimez, embrassez-vous gentiment, comme deux amoureux et deux fiancés, et si vous êtes sages, on vous mariera bientôt.

Les jeunes gens, attendris par ces bonnes paroles et cette joyeuse humeur, s’étaient jetés dans les bras du digne homme pour y cacher l’excès de leur émotion.

En conséquence de cette réception, don Torribio avait été officiellement reconnu comme prétendant à la main de doña Hermosa, et en cette qualité admis à lui faire la cour.

La jeune fille, nous devons lui rendre cette justice, croyait sincèrement aimer son cousin ; leurs longues relations, leur amitié d’enfance rendue plus vive par une séparation de plusieurs années, tout militait dans son cœur en faveur de l’hymen que son père avait préparé pour elle.

Elle attendait sans trop d’impatience le jour fixé pour son mariage, et envisageait avec un certain plaisir l’espoir des liens indissolubles. Bien qu’une telle assertion puisse faire crier à l’hérésie bon nombre de nos lecteurs, nous dirons cependant que le premier amour d’une jeune fille est rarement le véritable, que le second seul vient du cœur, tandis que l’autre ne réside réellement que dans la tête ; cela est facile à expliquer : une jeune