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LES CHASSEURS D’ABEILLES

lent devant aucune obligation, si dure qu’elle soit, lorsqu’elle croit son honneur engagé.

— C’est vrai : eh bien ! soit, il vaut mieux peut-être qu’il en soit ainsi et qu’elle vous ait accompagné.

— Avez-vous oublié, mon frère, ce qui s’est passé il y a un an aujourd’hui même, au lever du soleil, entre vous et moi, lorsque dans un moment de folie je vous ai avoué mon amour insensé pour doña Antonia de Solis ?

— À quoi bon revenir là-dessus, mon frère ? maintenant nous sommes réunis, grâce à Dieu, et j’espère que rien ne parviendra à nous séparer de nouveau.

— N’espérez pas, mon frère, répondit mélancoliquement Leoncio.

— Que voulez-vous dire, mon frère ? ma femme…

— Votre femme n’a pas cessé d’être digne de vous, vous allez la voir.

Don Gusman hésita.

— Non, répondit-il enfin, pas maintenant : finissons-en d’abord avec ces maudits, puis après je ne songerai plus qu’au bonheur.

— Soit ! fit don Leoncio avec un mouvement de joie.

En ce moment deux personnes parurent ; ces deux personnes étaient don Diego de Solis et doña Antonia, sa sœur et l’épouse de don Gusman.

À la vue de sa femme qu’il avait été contraint d’éloigner de Buenos-Ayres pour la soustraire aux poursuites du colonel don Bernardo Pedrosa, don Gusman, malgré sa résolution de ne pas se faire reconnaître d’elle, ne put résister au bonheur de la presser sur son cœur.

La jeune femme poussa un cri de joie en se sentant serrée contre la poitrine de son mari.

Don Leoncio, quelques mois après l’aveu qu’il avait fait à son frère, avait semblé oublier peu à peu cet amour, et quatre mois avant le jour où se passent les faits que nous rapportons, il avait épousé la seconde sœur de don Diego de Solis.

Aussi, lorsque don Gusman avait été obligé de se séparer temporairement de sa femme, n’avait-il pas hésité à la confier à son frère, convaincu que son amour pour doña Antonia s’était changé en une franche et durable amitié.

— Pourquoi es-tu revenue ? dit entre deux baisers don Gusman à sa femme.

— Il le fallait, répondit-elle tout bas, en réprimant avec peine un geste d’effroi, ma sœur elle-même me l’a conseillé.

— Tu as été bien imprudente, chère ange !

— Oh ! près de toi je ne crains rien : ne veux-tu pas embrasser ton fils ? ajouta-t-elle.

— L’as-tu donc amené aussi ?

Je ne veux plus te quitter désormais, quoi qu’il arrive ; et se penchant à l’oreille de son mari : Ton frère m’aime plus que jamais, sa femme s’est aperçue de cet amour, c’est elle et don Diego qui m’ont conseillé de revenir, ma position devenait intolérable.

L’œil de don Gusman lança un éclair.

— Ils ont bien fait, dit-il, mais silence ! mon frère nous observe.

En effet, don Leoncio, inquiet de cet aparté, et devinant, avec cette