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LES CHASSEURS D’ABEILLES

et que je sais que don Fernando Carril et Cœur-de-Pierre, le chasseur d’abeilles, sont une seule et même personne.

— Oui, répondit le Mexicain avec amertume, je vois que vous êtes expert dans le métier d’espion. Triste occupation que vous vous êtes choisie là, caballero !

— Qui sait ? peut-être avant que notre entretien se termine aurez-vous changé d’opinion, caballero.

— J’en doute, seulement permettez-moi de vous faire observer que vous avez une singulière façon d’exercer l’hospitalité envers les hôtes que Dieu vous envoie.

— Laissez-moi m’expliquer, puis, lorsque vous aurez entendu ce que j’ai à vous apprendre, eh bien ! caballero, je serai prêt à vous donner telle satisfaction que vous exigerez de moi, si vous croyez devoir insister encore à ce sujet.

— Parlez donc et finissons-en d’une façon ou d’une autre, répondit don Fernando avec un geste d’impatience ; le soleil est levé depuis quelques instants, déjà j’entends parler et marcher dans l’intérieur de votre rancho, dont les habitants s’éveillent et ne tarderont pas à paraître, et, par leur présence, rendront toute explication impossible entre nous.

— Vous avez raison, il faut en finir, mais comme je ne tiens pas plus que vous à être interrompu, venez : ce que j’ai à vous dire est trop long pour que je puisse vous le dire ici.

Don Fernando le suivit sans élever d’objection ; ils entrèrent dans le corral et sellèrent leurs chevaux.

— Maintenant, à cheval et partons, dans la prairie on cause mieux, dit don Estevan en montant sur son cheval.

Cette combinaison proposée par le jeune homme souriait d’autant plus au Mexicain, qu’elle lui rendait sa liberté d’action et lui fournissait un moyen sûr pour tirer du majordomo une éclatante vengeance, si celui-ci, comme il l’en soupçonnait, avait l’intention de se jouer de lui.

Sans répondre, il se mit en selle à son tour, et tous les deux, sans échanger une parole de plus, s’éloignèrent côte à côte du rancho.

La matinée était magnifique ; un soleil éblouissant déversait à profusion ses chauds rayons sur la campagne et faisait scintiller comme des diamants les cailloux de la route ; les oiseaux chantaient gaiement sous la feuillée ; les vaqueros et les peones commençaient à se disperser dans toutes les directions, entraînant à leur suite les chevaux et les bestiaux de l’hacienda qu’ils conduisaient aux pâturages ; le paysage s’animait de plus en plus à chaque instant et prenait un aspect riant bien différent de celui qu’il avait dans les ténèbres.

Après avoir marché pendant environ une heure, les deux hommes arrivèrent à un rancho à demi ruiné et inhabité, mais qui, envahi déjà par les plantes grimpantes et caché presque tout entier sous les fleurs et la verdure, offrait un délicieux abri contre la chaleur, qui, bien que la journée ne fût pas avancée encore, était cependant étouffante.

— Arrêtons-nous ici, dit don Estevan en rompant pour la première fois le