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LES CHASSEURS D’ABEILLES

n’ai pas deviné tes projets. Je creuserai sous tes pas une mine qui t’engloutira en éclatant ! Je tromperai ton attente ! Pour déjouer tes odieuses machinations, je ferai plus qu’un homme ne peut faire !

Il alla lentement retrouver son cheval et se remit en selle.

— Il est trois heures, dit-il en interrogeant le ciel dans les profondeurs duquel les étoiles commençaient à s’éteindre ; j’ai le temps.

Après avoir traversé la rivière, il reprit la route du rancho de don Estevan et recommença sa course vertigineuse à travers le désert.

Le cheval, suffisamment reposé, dévorait l’espace.

L’aube commençait à paraître au moment où il atteignait le rancho.

Tout était calme dans l’habitation, dont les habitants semblaient toujours plongés dans un profond sommeil.

Don Fernando poussa un soupir de satisfaction : le secret de sa course nocturne était assuré.

Il dessella son cheval, le bouchonna avec soin, afin de faire disparaître toutes les traces du voyage qu’il avait fait, et le conduisit au corral ; avant de lui rendre la liberté, il lui enleva les peaux de mouton qui garnissaient ses pieds, puis il le fit entrer, referma doucement la porte et regagna le zaguan. Au moment où il se préparait à remonter dans son hamac, il aperçut un homme qui, l’épaule appuyée contre le seuil, les jambes croisées, fumait nonchalamment une cigarette de paille de maïs.

Don Fernando tressaillit et recula d’un pas en reconnaissant son hôte.

En effet, cet homme était don Estevan Diaz.

Celui-ci, sans paraître le moins du monde étonné, ôta sa cigarette de sa bouche, lâcha une énorme bouffée de fumée, et, s’adressant au chasseur :

— Vous devez être fatigué de la longue course que vous avez faite cette nuit, caballero, lui dit-il du ton le plus poli : désirez-vous vous rafraîchir ?

Don Fernando, interdit du sang-froid avec lequel cette question lui était adressée, eut un moment d’hésitation.

— Je ne comprends pas, caballero, murmura-t-il.

— Quoi donc ? répondit l’autre. Bah ! à quoi bon feindre ? Il est inutile de chercher à me donner le change, je vous assure : je sais tout.

— Comment ! vous savez tout ; que savez-vous donc ? répliqua le jeune homme, désirant connaître jusqu’à quel point don Estevan était instruit.

— Je sais, reprit le majordomo, que vous vous êtes levé, que vous avez sellé votre cheval, et que vous vous êtes rendu auprès d’un de vos amis qui vous attendait dans l’île de los Pavos.

— Ah ! ah ! fit don Fernando avec une colère contenue, vous m’avez donc suivi !

Vive Dios ! je le crois bien ; j’ai pour système de supposer qu’un homme qui toute la journée a voyagé à cheval ne fait pas par pur agrément une promenade au milieu de la nuit, surtout dans un pays comme celui où nous sommes, qui, généralement assez peu sûr pendant le jour, devient extrêmement dangereux dans les ténèbres ; alors, comme je suis fort curieux de mon naturel…

— Vous vous faites espion ! interrompit violemment le Mexicain.