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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Ne sais-tu donc pas que j’ose tout ? répondit le Mexicain.

— Assez de temps perdu ; causons, dit le vieillard en mettant pied à terre.

— Causons, soit ! que me voulez-vous ? répliqua don Fernando en descendant de cheval.

— Pourquoi m’as-tu trompé et t’es-tu tourné contre moi, au lieu de me servir, ainsi que tu le devais ?

— Je ne m’étais engagé à rien envers vous, au contraire, j’avais nettement refusé la mission dont vous avez absolument voulu me charger.

— Ne pouvais-tu pas rester neutre et laisser retomber ces gens en mon pouvoir ?

— Non, mon honneur m’obligeait à les défendre.

— Ton honneur ? fit le Chat-Tigre avec un rire moqueur.

Le Mexicain rougit, ses sourcils se froncèrent, mais il se contint et répondit froidement :

— L’hospitalité est sacrée dans la prairie, ses droits sont imprescriptibles ; les gens que je guidais s’étaient d’eux-mêmes placés sous ma sauvegarde : les abandonner ou ne pas les défendre aurait été les trahir ; vous-même auriez agi ainsi que je l’ai fait.

— Il est inutile de revenir là-dessus, on ne discute pas un fait accompli, on le subit ; pourquoi n’es-tu pas revenu auprès de moi ?

— Parce que j’ai préféré demeurer à San-Lucar.

— Oui, la vie civilisée t’attire quand même, ce double rôle que tu joues à tes risques et périls a pour toi des charmes, je le comprends ; don Fernando Carril est reçu à bras ouverts dans les salons de la haute société mexicaine ; mais crois-moi, enfant, prends garde que ton esprit aventureux ne t’entraîne dans quelque fausse démarche dont toute la témérité du Cœur-de-Pierre ne te pourrait tirer.

— Je ne suis pas venu ici chercher des conseils.

— C’est vrai, mais ces conseils que tu n’es pas venu chercher, il est de mon devoir de te les donner. Bien que je reste au désert, je ne te perds pas un instant de vue ; je connais toutes tes démarches, je n’ignore rien de ce qui te regarde.

— À quoi bon cet espionnage ? répondit don Fernando avec hauteur.

— À savoir si je puis toujours avoir en toi la même confiance.

— Eh bien ! qu’avez-vous appris sur mon compte ?

— Rien que de satisfaisant, seulement je tiens à ce que tu me dises où nous en sommes positivement aujourd’hui.

— Est-ce que vos espions ne vous tiennent pas au courant de mes moindres actions ?

— Si, de celles qui te sont personnelles : ainsi je sais que tu n’as pas encore osé te présenter à don Pedro de Luna, dit-il d’un ton de persiflage.

— En effet, mais demain je le verrai.

Le Chat-Tigre haussa les épaules avec dédain.

— Parlons d’affaires sérieuses, reprit-il, où en sommes-nous ?

— J’ai suivi de point en point vos instructions ; depuis deux ans que pour la première fois j’ai paru à San-Lucar, je n’ai pas perdu une occasion dénouer