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LES CHASSEURS D’ABEILLES

la pensée de vous assassiner ; fi donc ! moi, un caballero ! pouvez-vous avoir une si mauvaise opinion de moi, Seigneurie ?

— Que prétendiez-vous donc en tirant ainsi sur moi ?

— Vous tuer, Seigneurie pas autre chose.

— Ainsi ce meurtre n’était pas un assassinat ?

— Pas le moins du monde, seigneurie, c’était une affaire.

— Comment ! une affaire ? le drôle me fera devenir fou, sur mon âme !

— Dame ! Seigneurie, un honnête homme n’a que sa parole, j’étais payé.

— Pour me tuer ? s’écria le cavalier.

— Parfaitement, répondit el Zapote ; vous comprenez que dans de telles conditions j’étais forcé de tenir mes engagements.

IL y eut un instant de silence. Évidemment ce raisonnement ne paraissait pas aussi concluant au cavalier qu’au lepero.

— Voyons ! terminons-en, reprit au bout d’un instant le cavalier.

— Je ne demande pas mieux, Seigneurie.

— Vous reconnaissez sans doute que vous êtes en mon pouvoir ?

— Il me serait difficile de soutenir le contraire.

— Bon ! comme, de votre aveu, vous avez tiré sur moi avec l’intention évidente de me tuer ?

— Je ne puis le nier, Seigneurie.

— En vous tuant, maintenant que je vous tiens entre mes mains, je ne ferais donc qu’user de représailles ?

— Cela est parfaitement juste, caballero ; je dois même avouer que vous aurez on ne peut plus raison d’agir ainsi.

Son interlocuteur le regarda avec surprise.

— Ainsi vous êtes satisfait de mourir ? lui demanda-t-il.

— Entendons-nous, reprit vivement l’autre, je n’en suis pas satisfait du tout, au contraire ; seulement je suis beau joueur, voilà tout ; j’ai joué, j’ai perdu, je paie, cela est juste.

Le cavalier sembla réfléchir.

— Et si, au lieu de vous planter mon couteau dans la gorge, dit-il, ainsi que vous-même reconnaissez que j’en ai le droit…

El Zapote fit un signe d’assentiment.

— Je vous rendais la liberté, continua le cavalier, en vous laissant la faculté d’agir à votre guise, que feriez-vous ?

Le bandit hocha tristement la tête.

— Je vous le répète, répondit-il, je vous tuerais : un homme n’a que sa parole, je ne peux pas tromper la confiance de ceux qui m’emploient, ce serait me perdre de réputation.

Le cavalier éclata de rire.

— On vous a donc payé bien cher pour cette expédition ? dit-il.

— Pas beaucoup, mais le besoin fait faire bien des choses, j’ai reçu cent piastres.

— Pas davantage ? fit l’étranger en allongeant les lèvres avec dédain : ce n’est guère, je croyais valoir mieux que cela.