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LES CHASSEURS D’ABEILLES

l’horizon, et, presque sans transition, d’épaisses ténèbres avaient succédé aux lueurs éclatantes du jour.

Au Mexique, où la police n’existe pas, ou du moins n’existe que de nom, chacun est contraint de se protéger soi-même ; deux hommes qui la nuit se rencontrent sur une route ne s’accostent qu’avec les plus grandes précautions et ne se laissent approcher qu’après s’être assurés qu’ils n’ont rien à redouter.

— Passez au large ! cria don Fernando à la personne qui s’approchait, lorsqu’il jugea qu’elle était arrivée à portée de voix.

— Pourquoi donc cela ? Vous savez bien que vous n’avez rien à craindre de moi, répondit-on en même temps que cessait le bruit causé par le galop du cheval, ce qui dénotait que son cavalier l’avait arrêté.

— Je connais cette voix, dit le Mexicain.

— Et l’homme aussi, señor don Fernando, car il n’y a pas bien longtemps que vous l’avez rencontré : je suis el Zapote.

— Ah ! ah ! fit en riant don Fernando, c’est toi, Tonillo ; avance, mon garçon.

L’autre s’approcha immédiatement.

— Que diable fais-tu à cette heure de nuit sur les routes ?

— Je viens d’un rendez-vous et je retourne au pueblo.

— Je crains que ce rendez-vous ne cache quelque affaire scabreuse.

— Vous me faites injure, don Fernando, je suis un honnête homme.

— Je n’en doute pas ; du reste, tes affaires ne sont pas les miennes, je ne veux donc pas m’en mêler. Allons, adieu, Tonillo !

— Un instant, s’il vous plaît. Puisque je suis assez heureux pour vous rencontrer, accordez-moi quelques minutes, d’autant plus que je vous cherchais.

— Toi ! Est-ce encore pour une affaire du genre de celle de l’autre jour ? Je croyais que tu avais renoncé à cette sorte de spéculation qui, avec moi, ne te réussit que médiocrement.

— Voilà la chose en deux mots, don Fernando ; après ce qui s’est passé l’autre jour, j’ai réfléchi que je vous devais la vie et que par conséquent je n’avais plus ma liberté d’action vis-à-vis de vous ; mais vous le savez, señor, je suis caballero, et, comme un honnête homme n’a que sa parole, je résolus d’aller trouver l’homme qui m’avait acheté votre mort et de lui rendre l’argent qu’il m’avait payé ; c’était dur de débourser une aussi grosse somme, cependant je n’hésitai pas. On a bien raison de dire qu’une bonne action trouve toujours sa récompense.

— Tu dois le savoir mieux que qui que ce soit, dit en riant don Fernando.

— Vous riez ? eh bien ! jugez ! Je cherchais donc la personne en question, dont il est inutile de vous dire le nom…

— Oui, d’autant plus que je le sais.

— Ah ! très bien, alors. Ce matin, un caballero de mes amis m’avertit que cette personne désirait, elle aussi, causer avec moi ; cela s’arrangeait à merveille. Mais jugez de mon étonnement lorsque, au moment où je me préparais à rendre la somme et à renoncer à l’affaire, cette personne me dit que,