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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Lorsque cela fut fait, don Torribio jeta un peu de poussière sur le papier, afin de le sécher, le plia proprement en quatre et le remit à don Fernando, qui, après l’avoir lu attentivement, le serra dans sa poitrine.

— Là ! voilà qui est fait, dit don Torribio. Maintenant, cher seigneur, si vous n’avez rien à m’ordonner, je vous demanderai la permission de me retirer.

— Je serais désespéré de vous retenir plus longtemps, caballero ; allez où vous appellent vos affaires, je vous souhaite bonne réussite.

— Merci de ce souhait, mais je crains qu’il ne s’accomplisse pas ; depuis quelque temps je suis dans une mauvaise veine.

Après avoir une dernière fois salué les deux hommes, il remit la bride à son cheval, monta dessus et s’éloigna au galop.

— Est-ce que vous exigerez réellement l’exécution de ce pacte ? demanda don Estevan lorsqu’il se trouva seul avec don Fernando.

— Certes, répondit celui-ci ; vous oubliez que cet homme est mon ennemi mortel. Mais il faut que je vous quitte, don Estevan ; je veux être aujourd’hui à las Norias de San-Antonio, et il commence à se faire tard.

— Vous allez à l’hacienda de don Pedro de Luna ?

— Pas positivement à l’hacienda, mais dans les environs.

— Alors nous ferons route ensemble, car moi aussi je me dirige de ce côté.

— Vous ? fit-il en lui lançant un regard interrogateur.

— Je suis le mayordomo de l’hacienda, répondit simplement Estevan Diaz.

Les deux hommes sortirent de la grotte et montèrent à cheval.

Don Fernando Carril marchait tout pensif auprès de son compagnon, auquel il ne répondait que par monosyllabes.


XI

LE RANCHO


Le chemin que les deux voyageurs avaient à faire en compagnie était assez long ; don Estevan n’aurait pas été fâché de l’abréger en causant avec don Fernando, d’autant plus que la façon dont il avait fait connaissance avec lui et l’aspect sous lequel il s’était révélé avaient au plus haut point excité la curiosité du jeune homme. Malheureusement, don Fernando Carril ne semblait nullement disposé à soutenir la conversation, et, malgré tous ses efforts, le mayordomo se vit enfin contraint à se conformer à la disposition d’esprit de son compagnon et à imiter sa taciturnité.

Ils avaient depuis longtemps déjà laissé le village derrière eux et côtoyaient au petit galop les rives accidentées du rio Vermejo, lorsqu’ils entendirent à peu de distance devant eux résonner le galop précipité d’un cheval ; nous disons ils entendirent, parce que, peu de temps après leur départ de la grotte, le soleil déjà fort bas avait enfin disparu au-dessous de la ligne de