Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous êtes bon, monsieur, ces douces paroles que vous me dites, hélas ! je le sens, vous n’y croyez pas vous-même.

— Ne vous laissez pas abattre ainsi, ma chère Juana, reprit-il, cherchant à distraire la jeune fille de ses tristes pensées, ne suis-je donc pas votre ami, moi ?

— Oh ! si, fit-elle avec émotion, si, vous êtes mon ami, presque mon père, et je vous aime pour tous les soins dont vous avez entouré mon enfance, voilà pourquoi je tremble de vous quitter ainsi.

— Le danger n’est pas aussi grand que vous le supposez : demain je dois recevoir un renfort de cent cinquante hommes qui, joints à ceux de ma garnison actuelle, me formeront un effectif de cent dix soldats résolus et expérimentés ; de plus l’île est bien fortifiée et bien avitaillée. Soyez donc tranquille sur notre compte, ajouta-t-il en riant, si diables que soient les ladrones, ils n’y sauraient mordre et, cette fois encore, ils s’en retourneront avec leur courte honte.

La jeune fille jeta un regard furtif vers le jardin en étouffant un soupir.

— Ainsi, reprit-elle, à peine arrivée ici, je pars et je pars seule !

— Non pas seule, puisque votre dueña vous accompagne.

— Mais vous ?

— Moi, je vous rejoindrai.

— Quand cela, mon ami ?

— Plus tôt que vous ne pensez peut-être.

— Le Ciel vous entende !

Don Fernando se leva.

— Ainsi, voilà qui est bien convenu, dit-il, demain au point du jour vous serez prête, la goélette la Madre-de-Dios, sur laquelle vous êtes venue ici, est encore mouillée dans le port. C’est à son bord que vous vous embarquerez.

— Mais, pardonnez-moi cette dernière question, vous ne m’avez pas dit où je dois me rendre.

— L’ignorez-vous donc ?

— Complètement ; vous m’avez parlé il y a quelque temps d’un poste fort avantageux qui vous était offert à Panama, est-ce donc là que nous nous rendrons ?

— Non ; mon protecteur, dans son inépuisable bonté, m’a fait obtenir un poste plus honorable et surtout plus lucratif que celui que précédemment il m’avait promis.

— Lequel donc ?

— Celui de gouverneur de Gibraltar, dans le golfe de Maracaïbo.

— Et vous avez reçu votre nomination ?

— Vous êtes une curieuse, niña, fit-il en souriant.

— Répondez-moi, je vous en prie.

— Eh bien ! soyez satisfaite, cette nomination est arrivée ce soir même, il n’y a qu’un instant.

— Mais alors rien ne vous retient plus ici ?

— Pardonnez-moi, répondit-il avec embarras, je dois transmettre mes pouvoirs à mon successeur et attendre son débarquement dans l’île.