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— Un instant, s’il vous plaît, monsieur, dit Philippe en le retenant, je consens à ce que vous me proposez, mais à une condition cependant.

— Laquelle ?

— C’est que j’attendrai votre retour, afin de vous venir en aide en cas de besoin.

— Bah ! à quoi bon ? puisque nous ne sommes plus amis.

— En effet, mais nous sommes toujours frères.

— Vous avez raison, monsieur, j’accepte donc, et après s’être cérémonieusement incliné devant son rival, le chevalier s’éloigna en se glissant comme un spectre à travers les fourrés et les taillis.

Philippe resté seul demeura un instant immobile et pensif, puis il releva la tête, jeta un regard soupçonneux autour de lui, et se confondant autant que possible avec l’ombre projetée par les ramures feuillues des arbres, il s’approcha à pas de loup de la porte-fenêtre, et se blottit dans un fourré de lentisques placé à quelques pas à peine de la maison et où il était à peu près impossible de le découvrir.

L’endroit était parfaitement choisi ; comme les deux interlocuteurs n’avaient aucun motif pour modérer le ton de leur conversation, leurs paroles parvenaient claires et parfaitement accentuées à l’oreille de l’aventurier qui se prépara à écouter tout en murmurant intérieurement :

— Peut-être pourrai-je la voir et lui parler encore.

La discussion entre les deux aventuriers, les mesures convenues entre eux avaient exigé un temps assez long, de sorte que, lorsque Philippe fut en mesure d’écouter ce que disaient don Fernando et doña Juana, leur entretien lui parut être sur le point de finir.

La jeune fille parlait :

— Et ces nouvelles sont certaines, monsieur ? disait-elle.

— Officielles, répondit le gouverneur, l’homme qui nous les a données est sûr ; d’ailleurs c’est le gouverneur même de Saint-Domingue qui me les fait parvenir.

— Et vous m’ordonnez de vous quitter, lorsqu’un grand danger vous menace peut-être.

— D’abord, ma chère enfant, répondit affectueusement don Fernando, je ne vous donne aucun ordre, je vous communique celui que j’ai reçu, ce qui est bien différent ; et vous le savez, vous et moi devons obéir à cette personne, puisque c’est elle qui, tout enfant, vous a confiée à moi.

— Mais cette personne, quelle est-elle ?

— Pourquoi m’adresser sans cesse cette même question, chère enfant, puisque vous savez que je ne puis y répondre ?

La jeune fille courba tristement la tête.

Don Fernando lui prit la main qu’il serra doucement.

— Courage, pauvre niña, lui dit-il, avec une tendresse paternelle, un jour, je l’espère, un jour prochain peut-être, ce secret qui pèse si horriblement sur votre cœur s’éclaircira, l’avenir ne vous appartient-il pas, à vous qui êtes encore presque une enfant ?