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— La nuit est radieuse, le ciel diamanté d’étoiles, consentez, je vous prie, à m’accorder quelques minutes.

— Je me tiens à vos ordres pour tout le temps que vous désirerez.

— Pardonnez-moi, niña, il est tard, l’heure peut paraître assez peu convenable, il est vrai, mais le courrier est arrivé il y a un instant, et j’ai d’importantes communications à vous faire.

— À moi, monsieur ? dit-elle, avec surprise.

— Oui, si toutefois vous daignez consentir à m’entendre.

— Ne vous ai-je pas répondu déjà que j’étais à vos ordres ?

— Merci de votre complaisance ; je profite donc sans plus de retard de la permission que vous me donnez.

Nous, avons dit que la nuit calme et tiède, splendidement éclairée par les rayons argentés de la lune, était magnifique ; en pénétrant dans l’appartement à la suite de la jeune fille, don Fernando avait laissé entr’ouverte la porte-fenêtre donnant sur le jardin, soit pour laisser entrer les fraîches émanations de la brise nocturne, soit que malgré sa qualité de tuteur il craignît d’effaroucher la pudeur un peu sauvage de la jeune fille, pour laquelle, hâtons-nous de le constater, il professait une amitié sincère jointe à un respect profond.

Tous deux s’étaient assis sur des butaccas tout auprès de la porte.

Cependant les aventuriers, demeurés seuls au fond du bosquet, avaient entre eux une explication rapide.

— Ainsi nous sommes ennemis, dit Philippe, avec hauteur.

— Ennemis, peut-être, répondit sèchement Grammont, rivaux certainement.

— Soit, monsieur, mais cette rivalité ne doit en aucun cas nous empêcher de remplir nos devoirs envers nos compagnons.

— C’est mon avis.

— Heureux, monsieur, de me rencontrer ainsi avec vous : donc, que comptez-vous faire ?

— En ce moment ?

— Oui.

— Dame ! il me semble que le hasard nous protège singulièrement et nous offre une occasion unique de connaître les secrets de nos ennemis.

— Notre reconnaissance n’est point terminée encore, un trop long séjour dans le lieu où nous sommes pourrait non seulement nous perdre, ce qui ne serait rien, mais faire avorter les plans de nos frères.

— Vous avez raison, mais il est, il me semble, un moyen très facile de tout concilier.

— Et ce moyen, quel est-il, s’il vous plaît ? je serais heureux de profiter de vos lumières.

— Ce moyen, le voici : tandis que l’un de nous demeurera ici et essayera de surprendre quelques bribes de la conversation du gouverneur avec sa pupille, l’autre ira à la découverte ; quant à Pitrians, il restera auprès de la brèche qui nous a livré passage afin, en cas de besoin, d’assurer notre retraite.