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XII

RENDEZ-VOUS À TROIS

C’étaient en effet Philippe et Pitrians qui venaient si à l’improviste de s’introduire dans le jardin réservé du gouverneur de la Tortue.

Au cri poussé par la jeune femme le flibustier avait tressailli.

— On a parlé, dit-il.

Et après avoir jeté un regard anxieux autour de lui, il marcha résolument vers le bosquet.

— Me voilà, Philippe, dit la jeune femme en s’avançant vers lui.

— Vous ! vous ! Juana, s’écria-t-il avec joie, oh ! c’est Dieu qui vous a conduite ici.

— Ne saviez-vous donc pas m’y trouver ? répondit-elle.

— Je n’osais l’espérer.

Soudain il s’interrompit ; après avoir fait le tour du jardin, ce qui n’avait pas été long, Pitrians revenait vers le bosquet ; Philippe s’élança à sa rencontre.

— Ami, lui dit-il, j’ai par un bonheur inouï rencontré la personne que seule je voulais voir en m’aventurant ici ; fais le guet tandis que nous échangerons quelques mots et que j’obtiendrai les renseignements nécessaires à la réussite de nos projets.

Pitrians sourit.

— C’est convenu, répondit-il, seulement ne vous oubliez pas trop longtemps à causer ensemble, notre position n’est nullement agréable, il est inutile que nous nous fassions bêtement égorger dans ce traquenard.

— Sois tranquille, je ne te demande que dix minutes.

— Je vous accorde un quart d’heure, répondit majestueusement Pitrians, et il alla s’embusquer derrière un énorme tronc d’arbre.

Philippe revint en toute hâte vers Juana qui attendait avec anxiété le résultat de son entretien avec son compagnon.

— Tout va bien, dit-il, nous pouvons causer en sûreté, un ami veille sur nous. Que soit loué Dieu, ma chère Juana, qui dans son inépuisable bonté consent à nous réunir !

— Pour quelques minutes seulement, murmura-t-elle avec tristesse.

— Qu’importe l’avenir, ma bien-aimée ; profitons du présent pour parler de notre amour ; quand êtes-vous arrivée ici ?

— Ce matin même.

— Pensez-vous y demeurer longtemps ?

— Je l’ignore, don Fernando est impénétrable, cependant j’ai cru deviner que mon séjour serait court.

— Et savez-vous en quel lieu vous devez vous rendre ?

— Pas positivement, on m’a parlé de Panama et de Maracaïbo ; il est vrai