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Soyez certaine, niña, qu’aussitôt que je la connaîtrai moi-même, je m’empresserai de vous instruire.

— Merci.

En ce moment un bas officier entra dans le jardin et s’approcha respectueusement de son chef.

— Que me voulez-vous, cabo Lopez ? demanda don Fernando.

— Seigneurie, répondit-il, le courrier de Santiago arrive.

— Si tard ! fit le gouverneur avec étonnement.

Le caporal s’inclina sans répondre.

— C’est bien, je vous suis ; allez.

Lopez tourna sur lui-même avec une précision automatique et sortit par le jardin.

— Cette porte, continua don Fernando en indiquant du doigt à la jeune fille une large porte-fenêtre, est celle dont je vous ai parlé et qui donne dans votre oratoire. Maintenant je vous laisse ; promenez-vous sans crainte dans ce jardin : vous n’avez rien à redouter. Si je ne puis vous revoir ce soir, veuillez agréer, niña, tous mes souhaits pour la première nuit que, depuis bien longtemps, vous passez sous mon toit.

Après avoir ainsi pris congé, don Fernando se retira, et doña Juana demeura seule.

Depuis longtemps déjà, la jeune fille aspirait à jouir d’un instant de liberté ; elle éprouvait le besoin de remettre de l’ordre dans ses idées et de causer franchement avec elle-même. Son départ de San-Juan-de-Groava avait été tellement subit, son voyage si rapide, que les quelques jours qui venaient de s’écouler avaient passé pour elle avec la vélocité d’un songe, sans lui laisser le temps nécessaire pour réfléchir à la situation nouvelle que lui faisaient les événements, et aux changements inévitables qui, par la force des circonstances, allaient s’opérer dans son existence jusque-là si calme et si tranquille.

Pour les âmes jeunes et croyantes, la nuit a des charmes indicibles : la pâle lueur qui tombe des étoiles, les reflets argentés de la lune filtrant à travers les branches, la brise nocturne qui passe comme un soupir et fait mystérieusement frissonner les feuilles, les sourds bruissements des infiniment petits accomplissant leur incessant labeur, le susurrement de la source qui fuit à travers les roseaux, tout concourt à enivrer le cœur et porte l’esprit à de douces et mélancoliques rêveries.

Doña Juana, après avoir fait quelques tours à travers les allées ombreuses du jardin, la tête penchée vers la terre, se laissa peu à peu, sans s’en apercevoir elle-même, aller à subir l’influence de la radieuse nature qui l’enveloppait de toutes parts et dont les ravissantes harmonies bruissaient doucement à son oreille ; elle s’assit au fond d’un bosquet, et, pendant un laps de temps assez long, elle demeura plongée dans cette espèce d’extase qui n’est ni la veille ni le sommeil, et que notre langue trop pauvre n’a point de mots pour définir.

Non loin de l’endroit qu’elle avait choisi pour se reposer, s’élevait la haie qui servait de clôture au jardin ; auprès de cette haie, un éboulement déjà