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humeur ; j’ai un jardin, fort petit, à la vérité, et qui ne ressemble en rien à vos magnifiques huertas de Santo-Domingo ; mais, tel qu’il est, je le mets à votre disposition pour tout le temps qu’il vous plaira, et il vous sera d’autant plus facile de vous y promener, qu’il communique par une porte-fenêtre avec votre oratoire.

— Oh ! mais c’est charmant, cela, dit-elle gaiement. Conduisez-moi vite, je vous prie, à ce jardin.

— Alors, veuillez me suivre, niña ; nous y serons dans cinq minutes.

La jeune fille se leva vivement et quitta la salle, accompagnée de don Fernando, sans autrement s’inquiéter de la digne ña Cigala, qui s’était bien réellement endormie dans son fauteuil.

Après avoir traversé la cour, illuminée en ce moment par un magnifique clair de lune, don Fernando longea pendant quelques instants les bâtiments d’habitation, poussa une porte fermée seulement au loquet ; doña Juana se trouva subitement dans un jardin d’une médiocre étendue, mais fort bien dessiné, et, pour cette raison, paraissant au premier coup d’œil beaucoup plus vaste qu’il ne l’était en réalité. Il y avait de l’ombre et des fleurs ; les oiseaux, blottis dans le feuillage, s’échappaient à grand bruit à l’approche des promeneurs. Une haie épaisse de cactus cierges, plantée sur la lèvre même du précipice, servait de clôture, non seulement au jardin, mais encore aux bâtiments de la forteresse.

Cette clôture, toute frêle qu’elle paraissait, était plus que suffisante, le précipice, taillé presque verticalement en cet endroit, ayant plus de quarante mètres de profondeur.

— Voici mon jardin, chère enfant, dit alors don Fernando ; usez-en et abusez-en à votre gré, sans craindre d’être troublée, car, excepté vous et votre dueña, nul n’y mettra les pieds sans votre permission.

— Je vous remercie, monsieur ; je ne sais véritablement comment reconnaître cette nouvelle amabilité de votre part.

— Ne suis-je pas presque votre père, puisque c’est moi qui ai pris soin de votre enfance ?

— Vous avez raison, et je vous aime pour votre inépuisable bonté.

— À mon tour de vous dire merci, niña ; mais nous ne sommes, grâce à Dieu, condamnés qu’à demeurer quelques jours ici. J’attends mon successeur d’un moment à l’autre.

— C’est vrai. Nous devons, m’avez-vous dit, nous rendre à Panama, fit-elle avec un léger frémissement dans la voix.

— Je le croyais ; mais d’après mes dernières lettres, il paraît que ma destination est changée.

— Ah ! et quel est le nouveau poste qu’on vous destine ?

— Quant à cela, je l’ignore. Il est probable seulement que nous nous rendrons en terre ferme ; d’ailleurs cela ne doit que médiocrement vous intéresser, je suppose.

— En effet ; cependant je vous avoue que je n’aurais pas été fâchée de connaître cette nouvelle destination.