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XI

LE JARDIN

Avant de nous transporter dans l’île de la Tortue, où nous conduisent maintenant les exigences de notre narration, il est de notre devoir de dire ce qu’était cette île, et comment il se faisait que les Espagnols en fussent les maîtres.

L’île de la Tortue, que les aventuriers rendirent si justement célèbre au xviie siècle, doit le nom qu’elle porte à sa forme, qui est à peu près celle d’une tortue de mer ; elle a soixante-six kilomètres de tour ; cerclée d’immenses chaos de rochers surgissant de la mer à une grande hauteur, et appelés côtes de fer par les habitants, elle n’est accessible que du côté du midi, par un canal large de sept kilomètres qui la sépare de Saint-Domingue.

Elle ne possède qu’un port pour les gros navires, et une bourgade nommée la Basse-Terre.

Son terrain est fertile, tous les fruits des Antilles s’y trouvent en abondance et le tabac qu’elle produit est d’une qualité très supérieure à celui des autres îles. La canne à sucre y vient bien, et le gibier s’y multiplie à foison.

L’histoire de la Tortue est courte, mais tachée de sang à chaque page.

Occupée d’abord par les Espagnols, elle leur fut enlevée par un coup de main, ainsi que nous l’avons raconté dans un précédent ouvrage[1].

Les Frères de la Côte, échappés pour la plupart au massacre de Saint-Christophe , résolurent de faire de cette île leur quartier général, et se mirent en mesure de s’en assurer la possession. Mais les Espagnols ne devaient pas les laisser jouir paisiblement de leur conquête.

Ils expédièrent une flottille qui surprit les aventuriers, et les chassa après un massacre effroyable ; mais ceux-ci revinrent en force quelque temps après, commandés par un certain Willis, aventurier anglais, et s’emparèrent de nouveau de l’île.

Mais les aventuriers français, pour la plupart mécontents d’obéir à un Anglais, demandèrent du secours à Saint-Christophe à M. de Poincy, gouverneur de cette île, qui leur envoya un officier nommé Levasseur, à la tête d’une nombreuse expédition, Willis se rendit sans coup férir, et les Français demeurèrent maîtres encore une fois de la Tortue.

Levasseur, installé dans son gouvernement, visita l’île en détail, pour étudier les points qui avaient besoin d’être fortifiés.

Il reconnut qu’elle était inaccessible de tous les côtés, excepté de celui du sud, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Il construisit un fort sur une colline éloignée d’environ trois cents mètres

  1. voir Les Aventuriers