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une innombrable quantité de tortues de mer qui viennent à certaine époque de l’année déposer leurs œufs dans le sable.

Il est assez difficile d’atterrir sur cette plage qui n’offre aucune espèce d’abri pour les embarcations. Cependant, malgré cela et peut-être même à cause de cela, les flibustiers en avaient fait un point de rendez-vous, lorsqu’ils avaient à traiter de matières sérieuses ou à discuter des expéditions intéressant la société des Frères de la Côte.

Du reste le lieu était bien choisi si l’on voulait éviter les espions, car il était impossible de s’en approcher n’importe de quel côté sans être immédiatement aperçu par ceux qui se trouvaient dessus.

De plus on dominait la mer jusqu’à la limite extrême de l’horizon et si soi-même, on ne voulait pas être vu, c’était chose facile en se réfugiant dans une grotte assez vaste qui se trouvait au centre de l’îlot, s’ouvrant au milieu d’un chaos de rochers surgi probablement du fond de la mer à la suite de l’un de ces terribles cataclysmes si fréquents dans ces contrées et qui changent, en quelques minutes à peine, totalement la configuration du sol.

Le lendemain du jour où le hasard avait si fortement réuni les chefs principaux de la flibuste à l’auberge du Saumon couronné, plusieurs pirogues, la plupart montées par un seul homme, quittèrent au coucher du soleil différents points de la côte de Saint-Domingue et se dirigèrent à force de rames vers l’îlot de la Tête-de-Chien, où elles abordèrent presque en même temps.

Après avoir tiré les pirogues sur le sable afin que la mer ne les emportât pas, car il était impossible de les amarrer, ceux qui les montaient se dirigèrent isolément vers la grotte située au milieu de l’îlot et dont nous avons parlé plus haut.

La grotte était naturellement assez obscure, mais comme les premiers venus avaient eu le soin d’allumer des torches de bois chandelle qu’ils avaient ensuite plantées droites dans le sable, les derniers venus trouvèrent une clarté suffisante pour reconnaître leurs compagnons et s’assurer que nul individu suspect ne s’était faufilé parmi eux,

La réunion n’était pas nombreuse ; elle ne se composait en tout que de onze personnes ; c’étaient : MM. d’Ogeron, Montbars l’Exterminateur, Philippe d’Ogeron, le chevalier de Grammont, Pierre Legrand, Vent-en-Panne, Drack, le Poletais, Michel le Basque, Martial et Pitrians ; ces deux derniers assistaient à la séance par faveur spéciale, le premier parce qu’il était le matelot du chevalier de Grammont qui avait demandé cette exception, et le second parce que Philippe d’Ogeron l’avait fait admettre sous sa responsabilité personnelle, mais en réalité pour faire pièce à Grammont qu’il détestait cordialement et auquel il n’était pas fâché de déplaire.

Lorsque les flibustiers furent tous réunis dans la grotte, ils se saluèrent, s’assirent comme ils purent sur des blocs de rochers, allumèrent leurs pipes et la conférence commença sous la présidence non contestée de M. d’Ogeron, que son âge et l’influence dont à si juste titre il jouissait parmi les Frères de la Cote, appelaient à cet honneur.

M. d’Ogeron répéta, mais dans de plus grands détails, ce qu’il avait dit la veille ; il raconta son voyage en France ; son entrevue avec le cardinal Maza-