Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Merci, messieurs, merci.

— Monsieur, répondit Montbars toujours froid et digne, ces bontés du roi nous comblent de joie. Le choix qu’il a fait de vous pour nous gouverner nous est une preuve des bonnes intentions de Sa Majesté. Seulement il est bien entendu, n’est-ce pas, que notre organisation intérieure demeurera toujours la même, et que personne, pas même le roi, pas même vous, monsieur, n’aura le droit de s’en mêler ?

— Sur l’honneur, je vous le jure, monsieur, répondit M. d’Ogeron.

— Soit, monsieur, nous acceptons votre parole, car nous la savons bonne ; maintenant ordonnez, nous sommes prêts à vous obéir.

— Je veux prendre la Tortue.

— Nous la prendrons, répondit-il simplement. Demain nous conviendrons des dernières mesures à arrêter.

— Pas ici, si vous le voulez bien, le Port-de-Paix est rempli d’espions ; nous nous réunirons à l’îlot de la Tête-de-Chien, demain au coucher du soleil ; de combien d’hommes avez-vous besoin ?

— Peu, pourvu qu’ils soient bons.

— Ils le sont tous.

— C’est vrai.

— Eh bien ! vous, Montbars, Vent-en-Panne et Grammont, choisissez chacun cinquante hommes résolus dans vos équipages ; Pierre Legrand en trouvera autant de son côté ; deux cents hommes suffiront.

— Alors demain et en armes au coucher du soleil à la Tête-de-Chien.

— Nous y serons, répondirent les flibustiers.

On se sépara.

M. d’Ogeron demeura seul.

— Il y a quelque chose à faire avec ces hommes, murmura-t-il, car ils ont l’instinct du grand et du beau ! réussirai-je à les dompter et à les rendre utiles à cette grande famille de l’humanité en dehors de laquelle ils s’obstinent à vivre ?

Le vieillard hocha à plusieurs reprises la tête d’un air pensif, s’enveloppa dans son manteau afin de ne pas être reconnu, et sortit à son tour de l’auberge.

X

L’ÎLOT DE LA TÊTE-DE-CHIEN

L’îlot de la Tête-de-Chien, où les flibustiers avaient pris rendez-vous, est un écueil aride, ou pour mieux dire un banc de sable, sur lequel ne pousse d’herbe d’aucune sorte et qui se trouve à deux encablures à peu près du Port-de-Paix sur la côte de Saint-Domingue dont il est séparé par un chenal navigable seulement à la marée montante.

Cet îlot, qui affecte une forme particulière assez semblable à celle de la tête d’un chien, ce qui lui a fait donner le nom qu’il porte, sert de refuge à