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— Oh ! monsieur, que d’excuses ! répondit-il en s’inclinant respectueusement devant ce vieillard pour lequel tous les flibustiers avaient une vénération si profonde.

— Brisons là, monsieur, répondit en souriant M. d’Ogeron, nous avons à nous occuper d’intérêts trop importants pour réveiller une sotte querelle ; à mon avis, mieux vaudrait vous donner une franche poignée de main et que tout fût fini entre vous.

Les deux hommes firent chacun un pas en arrière à cette proposition.

— Vous ne le voulez pas ? reprit-il, soit, n’en parlons plus et venons au fait ; acceptez-vous les ouvertures que j’avais chargé Pierre Legrand, notre frère, de vous faire ?

— Pierre Legrand, sans doute d’après vos recommandations expresses, monsieur, répondit Montbars au nom de l’assemblée, ne nous avait parlé que vaguement de cette affaire comme devant être tentée dans notre intérêt commun, mais nullement en votre nom.

— Et que lui avez-vous répondu ?

— Nous lui avons répondu, monsieur, que cette expédition était fort hasardeuse, que les Espagnols, mis sur leurs gardes, solidement retranchés et commandés par un brave officier, se défendraient comme des lions, que nous courions grand risque non seulement de ne pas réussir, mais encore de faire tuer en pure perte beaucoup des nôtres.

— Fort bien, messieurs ; maintenant écoutez-moi, je vous prie. Je ne vous rappellerai pas que c’est moi qui, à une autre époque, vous ai fait obtenir des lettres de marque du Portugal, même lorsque cette puissance était en paix avec l’Espagne ; je ne mentionnerai pas davantage les autres services que j’ai été assez heureux pour vous rendre, vous en avez, j’en suis convaincu, gardé bon souvenir.

— Nous ne sommes pas ingrats, monsieur, nous savons ce que nous vous devons.

— Je me bornerai donc à vous dire ceci : j’arrive de France, j’ai vu le cardinal Mazarin…

Un frémissement de curiosité agita l’assemblée. M. d’Ogeron continua :

— Son Éminence a daigné faire droit à mes respectueuses demandes ; le cardinal a compris que des hommes de votre valeur, messieurs, ne devaient pas être plus longtemps mis au ban de la société ; vous n’êtes plus des parias, vous n’êtes plus des pirates, vous n’êtes plus des corsaires, vous êtes des sujets loyaux de Sa Majesté Très-Chrétienne, dont l’existence légale est admise et reconnue par le roi : en conséquence, tout en demeurant libres comme vous l’étiez auparavant, Sa Majesté le roi Louis XIV, dans son inépuisable bienveillance pour vous, vous accorde sa protection pleine et entière avec le droit de hisser son pavillon sur vos navires ; de plus, Sa Majesté a daigné me nommer gouverneur de toutes ses possessions de l’Atlantique. Acceptez-vous ces conditions, messieurs ; me reconnaissez-vous ce titre ; êtes-vous disposés à m’obéir ?

— Vive le roi ! s’écrièrent les flibustiers avec enthousiasme. Vive notre gouverneur !