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je ne conserve plus de colère contre vous, mais mon honneur exige que vous m’accordiez cette réparation, ne serait-ce, ajouta-t-il avec un sourire triste, que pour enlever la poussière dont mes vêtements sont souillés.

— Vous le voyez, je suis sans arme.

— C’est vrai, monsieur, dit Montbars en tirant son épée du fourreau et la lui présentant, consentez à vous servir de celle-ci ; le capitaine a raison, vous ne sauriez lui refuser la réparation qu’il demande.

— Je ne songe pas à le faire, monsieur, j’accepte votre épée ; mais où nous battrons-nous ?

— Ici même, si vous le voulez bien, dit le capitaine.

— Soit, monsieur.

Les deux adversaires ôtèrent leurs pourpoints et se mirent en garde.

La salle de l’auberge offrait en ce moment un aspect étrange.

Les aventuriers s’étaient peu à peu reculés à droite et à gauche et, pour donner plus de place aux combattants, ils étaient montés sur les tables, gardant un silence funèbre, mais avançant anxieusement la tête sur l’épaule les uns des autres, afin de mieux suivre les péripéties du duel.

Après s’être courtoisement salués, les deux adversaires engagèrent les épées.

Dès les premières passes, les assistants comprirent que les deux hommes étaient de force supérieure. Malgré la rapidité des passes et des feintes du capitaine, Martial, immobile comme s’il eût été cloué à la place qu’il avait prise, maintenait toujours la pointe au corps ; son poignet semblait de fer.

De son côté, le chevalier de Grammont, rompu à tous les exercices du corps, et dont la vigueur naturelle était encore surexcitée par la honte de sa première défaite, opposait à son adversaire une résistance inébranlable.

Le capitaine avait repris tout son sang-froid, et, comme en se jouant, maniait son épée avec une élégance et une habileté extrêmes.

Deux ou trois minutes s’écoulèrent pendant lesquelles on n’entendit dans cette salle, cependant remplie de monde, d’autre bruit que celui de la respiration haletante des deux adversaires et le froissement sinistre du fer contre le fer.

Seul peut-être de tous les spectateurs, Montbars paraissait deviner la supériorité du jeu souple et serré à la fois de Martial, sur celui du capitaine.

Une fois, le chevalier ayant attaqué sur les armes, Martial vint à la parade en prime et riposta par un coup droit si rapide, que s’il n’avait pas retenu le fer, le capitaine aurait été traversé de part en part.

Montbars, intéressé malgré lui par cette scène, et ne comprenant rien à la façon de combattre du jeune homme, suivait avec une anxiété qui, malgré lui, se peignait sur son visage, toutes les péripéties de ce duel singulier ; il se demandait tout bas comment cela allait finir, lorsque tout à coup le capitaine fit un pas en arrière et, abaissant son épée :

— Vous êtes blessé ? dit-il.

— C’est vrai, répondit Martial en imitant son mouvement.

La pointe de l’arme du chevalier lui avait effleuré l’épaule, sur laquelle paraissaient quelques gouttes de sang.