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Celui-ci se retourna comme si un serpent l’avait piqué ; mais à la vue de l’inconnu qui se tenait froid et digne devant lui, son exaltation tomba subitement ; et baissant la pointe de son épée, bien qu’un tressaillement nerveux agitât tout son corps :

— Montbars ! murmura-t-il d’une voix étouffée.

C’était en effet le célèbre flibustier. Il jouit un instant de son triomphe sur cette nature indomptable, puis il reprit la parole.

— Ton adversaire a raison, Grammont, dit-il d’une voix incisive, tu n’es pas en état de te battre.

— Ah ! fit-il avec ressentiment, toi aussi, tu te mets contre moi.

— Tu es fou, reprit-il en haussant imperceptiblement les épaules, je ne veux que t’empêcher de faire une sottise.

À la vue de Montbars, les aventuriers s’étaient respectueusement reculés, laissant un large espace vide au milieu de la salle.

— Cet homme m’a déshonoré, il faut qu’il meure ! reprit le capitaine en frappant du pied avec rage.

Martial fit deux pas en avant.

— Non, monsieur, dit-il avec un accent de dignité qui surprit tous les spectateurs de cette scène singulière, c’est vous qui vous êtes déshonoré vous-même par l’insulte brutale et grossière dont vous vouliez me flétrir ; je n’ai fait que me défendre, prévenir une voie de fait indigne de vous et de moi ; je ne conserve contre vous aucune colère, aucune animosité ; je vous tiens, et je le dis hautement devant tous, pour un homme d’honneur ; ce qui s’est passé entre nous ne signifie rien : j’ai été plus adroit que vous parce que j’étais plus calme, voilà tout !

Pendant que le jeune homme parlait ainsi d’une voix douce et sympathique, Montbars l’examinait attentivement ; ses traits sévères prenaient une expression de bienveillance, et lorsqu’il se tut, il murmura en regardant le capitaine :

— Voilà qui est bien dit, qu’en penses-tu, chevalier ? n’est-ce pas un brave garçon ?

Le capitaine demeura un instant immobile, les yeux fixés à terre, en proie à une émotion que, malgré toute sa puissance sur lui-même, il ne parvenait pas à maîtriser ; enfin il releva la tête, une rougeur fébrile colora son visage, et, s’inclinant devant le jeune homme debout devant lui :

— Oui, vive Dieu ! vous êtes un brave garçon, dit-il, et un grand cœur, qui plus est ; quant à moi, je suis une bête féroce ; j’ai mérité la rude leçon que vous m’avez donnée ; pardonnez-moi donc, monsieur, car je reconnais mes torts.

— Monsieur, ceci est de trop, répondit Martial.

— Non, monsieur, ceci est bien, au contraire, dit Montbars.

— Maintenant, une dernière grâce, monsieur, reprit le capitaine.

— Je suis à vos ordres, monsieur.

— Consentez à me faire l’honneur de croiser l’épée avec moi.

— Monsieur…

— Oh ! ne me refusez pas, je vous en prie, monsieur, dit-il avec insistance ;