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— Comme quatre fermiers généraux.

— Alors tu arrives bien ; le moment est bon pour faire une rafle, dit un des joueurs. Ce démon de Nantais a juré de nous mettre à sec. Regarde, mon beau capitaine, ce qu’il a devant lui.

— Bah ! fit le Nantais avec un gros rire, en éparpillant négligemment le monceau d’or étalé devant lui, ce n’est rien encore, j’espère bien tripler cela.

— C’est ce que nous allons voir, mon gars, répondit le jeune homme auquel on avait donné le titre de chevalier et de capitaine.

— Quand entres-tu, capitaine ? reprit le Nantais.

— Pardieu ! tout de suite ! fit-il, et posant doucement les mains sur l’épaule de Martial : Ôtez-vous de là, camarade, lui dit-il.

Le jeune homme tressaillit à cet attouchement, mais il ne bougea pas. Le capitaine attendit un instant.

— Ah ça ! reprit-il en lui posant de nouveau la main sur l’épaule, mais plus fort cette fois, est-ce que vous êtes sourd, camarade ?

Martial se retourna à demi et regardant son interlocuteur bien en face :

— Non, répondit-il seulement.

— Bon, fit le capitaine en frisant sa moustache, vous n’êtes pas sourd ? J’en suis bien aise pour vous ; alors, puisqu’il en est ainsi, pourquoi ne vous levez-vous pas ?

— Parce que cela ne me plaît point, probablement, dit sèchement Martial.

— Hein ? fit le capitaine dont les sourcils se froncèrent, ceci est bien plus drôle que je ne le supposais.

— Vous croyez ?

— Pardieu ! Et se retournant vers les matelots qui, attirés par le bruit de cette altercation, s’étaient groupés derrière lui : Démasquez la porte, dit-il.

— Pourquoi démasquer la porte ? demanda Martial, toujours calme en apparence.

— Parce que, cher monsieur, répondit le capitaine d’un ton courtoisement railleur, si vous ne vous levez pas, je vais avoir le déplaisir de vous jeter dehors.

— Vous êtes fou ! dit le jeune homme en haussant dédaigneusement les épaules et en vidant son verre.

Le capitaine, surpris malgré lui de l’attitude ferme et résolue de son interlocuteur, l’examina un instant avec une surprise mêlée de curiosité,

— Voyons, lui dit-il, ne soyez pas enfant, jeune homme ; il est évident pour moi que vous ignorez à qui vous avez affaire.

— Je l’ignore en effet, répondit Martial, et je ne m’en soucie que fort médiocrement. On vous appelle capitaine et on vous donne le titre de chevalier, cela ne vous autorise aucunement, à mon avis, à être grossier avec moi.

— Ah ! ah ! fit-il en ricanant, eh bien ! sachez donc, monsieur, que je suis le chevalier de Grammont.

— Je ne connais pas de chevalier de Grammont et je vous répète que peu m’importe.