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Le jour commençait à paraître. On apercevait sur la plage une foule d’hommes et de femmes qui acclamaient les arrivants en battant des mains, poussant de grands cris et jetant chapeaux et bonnets en l’air ; mais le sauvetage n’était pas terminé encore, ainsi que chacun le croyait. Tout à coup, les matelots qui viraient au guindeau tombèrent à la renverse, l’équipage poussa un cri de désespoir, l’haussière venait de se casser.

— Silence ! hurla Pierre d’une voix stridente ; prends la barre, Vent-en-Panne.

Vent-en-Panne obéit.

Pierre Legrand monta sur le banc de quart.

— Eh bien ? dit-il.

— Nous dérivons, répondit le capitaine.

— Je le sais sacredieu bien ! Mets la barre tout au vent, comme ça ! Bien, obéit-il ?

— Oui, un peu.

— Bon, au vent, toujours !

Et se tournant vers l’équipage :

— Soyez parés à mouiller, dit-il.

On aurait entendu la respiration haletante de tous ces hommes, tant le silence était profond.

— Attention ! cria Pierre ; la barre sous le vent toute ! En double, sacredieu !

Le navire se redressa lentement.

Pierre suivait attentivement les écarts du navire.

— Mouille ! cria-t-il tout à coup.

L’ancre tomba au fond.

Il y eut un moment d’anxiété profonde. Le navire continuait à dériver rapidement à la côte ; sa vitesse diminua peu à peu. Enfin, il s’arrêta, puis il tourna lentement sur lui-même, présentant enfin l’avant au lit du vent.

L’ancre tenait, le navire était sauvé.

L’équipage poussa un joyeux vivat auquel répondirent les acclamations de la plage.

Du reste, il était temps que le navire s’arrêtât. Il se trouvait au plus à cinquante brasses des rochers.

— Fameux bâtiment, mon vieux frère, dit Pierre ; c’eût été dommage de le perdre ainsi au port.

— C’est Montbars qui l’a fait construire, répondit Vent-en-Panne, et il s’y connaît, celui-là !