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Pitrians et Pierre, attachés à ses pas et résolus à ne point l’abandonner, s’était mêlé à la foule des aventuriers, et à force de prières et de menaces était parvenu à grouper autour de lui une cinquantaine d’hommes résolus qui, électrisés par son exemple, avaient juré de lui obéir quoiqu’il leur commandât pour le salut général.

Si grand que fut, le danger que couraient les habitants, ce danger n’était rien en comparaison de celui du bâtiment affalé sur la côte et qui déjà à plusieurs reprises avait tiré le canon d’alarme pour appeler du secours.

Ce fut donc vers le bâtiment que Philippe résolut de diriger tous ses efforts.

— Matelots ! dit-il à ceux qui l’accompagnaient, un de nos navires se trouve dans le chenal, plusieurs de nos frères sont en danger imminent de leur vie, les laisserons-nous mourir ainsi comme de misérables Gavachos sans essayer de les sauver ?

— Non ! non !… s’écrièrent tout d’une voix les Frères de la Côte. Au navire ! au navire !…

— Sachons d’abord où il se trouve, répondit Philippe. Suivez-moi.

Ils coururent alors sur la plage, aussi loin que le leur permirent les vagues furieuses.

Les aventuriers ne sortent jamais sans être armés : ceux-ci avaient donc leurs fusils avec eux. Philippe leur ordonna défaire une décharge générale de leurs armes.

Presque aussitôt une lueur apparut sur la mer, suivie immédiatement d’une détonation assez forte.

— Le navire est là-bas dans l’est-quart-sud-est, dit Philippe, à une demi-encablure tout au plus de nous, au vent en carénage. Vivement des haussières, des boucaux vides, des barils, des planches, du bois, tout ce qu’on pourra trouver, enfin !… Toi, Pierre, matelot, fais allumer de grands feux de distance en distance ; jette du goudron dedans afin de rendre la flamme plus vive.

Ces différents ordres furent exécutés avec une célérité merveilleuse. Ces hommes dévoués au salut général semblaient se multiplier. D’ailleurs, beaucoup d’aventuriers et d’habitants, entraînés par leur exemple, s’étaient joints à eux et rivalisaient d’efforts pour apporter les objets demandés.

Bientôt d’immenses brasiers, couvrirent la rive sur une étendue de plus d’un mille. Le bâtiment les aperçut, car, dès ce moment, il ne cessa de tirer le canon de minute en minute.

L’ouragan semblait vouloir s’apaiser : le vent avait légèrement molli, les éclairs devenaient moins fréquents et les roulements du tonnerre étaient plus sourds.

Dans une éclaircie d’une minute on aperçut tout à coup la haute mâture d’un grand navire sortir du brouillard, à une distance fort rapprochée de la plage, puis l’obscurité se fit de nouveau et le bâtiment, à peine entrevu comme dans un rêve, disparut soudainement.

— C’est le Caïman ! s’écrièrent les aventuriers, le brick de Vent-en-Panne et de Montbars ! il faut le sauver !…