Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’avançait nonchalamment vers eux tout en fumant dans une pipe à tuyau presque imperceptible, et qui semblait soudée au coin de sa bouche.

— Eh ! te voilà donc, mon gars, dit-il gaiement au matelot, qui nous amènes-tu ici ?

— Capitaine Vent-en-Panne, répondit-il, je vous amène le nouveau compagnon dont je vous ai parlé hier.

— Ah ! ah ! fit-il en lançant un regard perçant au jeune homme, un gaillard bien découplé et qui paraît solide ; comment te nommes-tu, garçon ?

— Martial, capitaine, répondit-il avec un salut respectueux.

— Un nom de bon augure, vive Dieu ! Ainsi tu es Basque ?

— Oui, capitaine.

— Et tu t’es laissé affaler sur cette côte ?

— Mon Dieu oui ! capitaine, il y a deux ans déjà que j’y tire des bordées sans pouvoir m’élever au vent pour en sortir.

— Bon ! nous t’en tirerons, sois tranquille ; Aguirre m’a dit que tu es bon matelot.

— Voilà dix-sept ans que je navigue, capitaine, et je n’en ai pas encore vingt-trois.

— Hum ! tu dois connaître ton affaire, alors ; tu sais qui nous sommes, n’est-ce pas ?

— Oui, capitaine.

— Et tu n’as pas peur de monter à bord d’un de nos navires ?

— Au contraire, mon désir le plus vif était de faire la course.

— Très bien ! je crois que nous ferons quelque chose de toi.

— Je l’espère aussi.

— As-tu des armes et de la poudre ?

— J’ai tout ce qu’il me faut.

— Maintenant, je dois te prévenir d’une chose : à terre, nous sommes tous égaux ; à bord, il n’en est plus ainsi. Dès qu’on a juré la charte-partie, il faut s’y soumettre : nous n’avons qu’une punition.

— Laquelle ?

— La mort ! pour éviter la récidive. Aguirre, que je connais de longue date, m’a répondu de toi corps pour corps : une trahison de ta part, non seulement te tuerait, mais le tuerait aussi ; parmi nous, qui répond paye. Ainsi, réfléchis bien avant que d’accepter, tu es libre encore de te retirer si nos conditions te paraissent trop dures ; une fois ta parole donnée, il serait trop tard.

— J’accepte, répondit-il sans hésitation, d’une voix ferme.

— Bien ! voilà qui est parlé ; mais tu es jeune, je ne veux pas te prendre au mot ; trouve-toi à bord ce soir, à sept heures ; tâche de terminer tes affaires jusque-là ; tu liras la charte-partie, et s’il te convient toujours, après cette lecture, de t’enrôler avec nous, eh bien ! ce sera chose faite, et tu seras second lieutenant à bord.

— Toutes mes affaires sont terminées, capitaine, je n’ai pas besoin de retourner à la Vera-Cruz : Aguirre peut se charger de m’apporter mon coffre et mes armes.